Les pilotes de l'avion du patron de Total avaient bien vu le chasse-neige qui traversait la piste mais ne l'ont pas considéré comme une "menace": les experts russes ont déroulé jeudi le film du crash qui a coûté la vie à Christophe de Margerie.
En plus de l'enchaînement des faits, les autorités russes s'appliquent à établir les responsabilités après la mort de celui qui dirigeait la première entreprise française: le premier suspect, qui conduisait le chasse-neige, a été placé en détention, des employés de l'aéroport ont été interpellés et des responsables aéroporturaires ont démissionné.
Le patron du géant pétrolier, qui sera inhumé lundi à Saint-Pair-sur-Mer (ouest de la France), est décédé lundi soir lorsque son Falcon s'est écrasé après être entré en collision au décollage avec un chasse-neige à l'aéroport moscovite de Vnoukovo, provoquant aussi la mort de deux pilotes et d'une hôtesse de l'air.
Selon le représentant des experts russes, Alexeï Morozov, "la piste était libre quand l'autorisation de décoller a été confirmée" aux pilotes. Mais dix secondes plus tard, "les instruments de contrôle ont détecté le mouvement d'un chasse-neige sur le bas-côté gauche de la piste vers le carrefour".
Aucun dialogue n'a été enregistré entre l'équipage de l'avion et la tour de contrôle, après l'autorisation de décoller, a précisé jeudi M. Morozov.
"Environ 14 secondes après le début du décollage, l'équipage a observé un objet identifié par lui comme une +machine qui traverse la route+. L'objet observé (le chasse-neige) n'a pas été considéré comme une menace par l'équipage, le décollage a continué normalement", a-t-il déclaré.
Quatorze secondes plus tard, l'avion est entré en collision avec le chasse-neige et l'a percuté à 248 km/h alors qu'il avait déjà décollé, d'après l'expert russe.
"Après la collision, (l'avion) a commencé à basculer du côté droit", puis s'est écrasé, a-t-il expliqué.
- Le conducteur en détention -
Le conducteur du chasse-neige, Vladimir Martynenko, a été placé jeudi en détention préventive jusqu'au 21 décembre par un tribunal de Moscou, comme le demandaient les enquêteurs russes.
Selon le Comité d'enquête russe, structure chargée des investigations criminelles, l'employé de 60 ans avait 0,6 gramme d'alcool par litre de sang au moment de l'accident. La Russie applique une tolérance zéro en matière d'alcool au volant.
Son avocat avait pourtant démenti mardi les accusations faisant état de son ébriété, invoquant des problèmes cardiaques empêchant son client de boire, avant de reconnaître qu'il avait pu consommer "quelques gouttes" d'alcool.
Selon lui, M. Martynenko avait dû sortir de son véhicule pour vérifier s'il avait heurté un obstacle, prenant un retard de "30 à 40 secondes", suffisant pour "perdre de vue la colonne" de chasse-neiges dont il faisait partie.
"Le convoi a quitté la piste, mais l'aiguilleur du ciel n'a pas remarqué qu'un véhicule restait encore" sur la piste, a affirmé l'avocat.
- Démissions à l'aéroport -
Les enquêteurs russes ont également placé jeudi en garde à vue quatre employés de l'aéroport Vnoukovo. Il s'agit du chef des nettoyeurs de pistes et du responsable du contrôle des vols, mais également de l'aiguilleuse du ciel qui contrôlait le décollage de l'avion et de son supérieur qui la supervisait.
Cette contrôleuse aérienne, qui avait encore le statut de "stagiaire" selon les enquêteurs, avait été embauchée en août, selon une source au sein de l'aéroport de Vnoukovo ayant parlé mercredi à l'AFP sous couvert de l'anonymat.
Selon le Comité d'enquête russe, ces quatre employés "sont détenus en tant que suspects", faute d'avoir respecté les normes de sécurité, mais ne présentent pas de signes de consommation d'alcool.
Parallèlement, les premières démissions dans la direction de l'aéroport ont été annoncées jeudi avec le départ du directeur général Andreï Diakov, en poste depuis 2005, et de son adjoint Sergueï Solntsev. Les enquêteurs avaient dénoncé mardi la "négligence criminelle" de la direction de Vnoukovo.
Les experts russes secondés par leurs homologues français du Bureau d'enquêtes et d'analyses (BEA), qui quitteront vendredi Moscou, continuent l'analyse des données contenues dans les "boîtes noires" de l'avion de Total.
Selon le vice-président du Bureau d'enquête pour la sécurité de l'aviation civile russe (MAK), Sergueï Zaïko, elle peut prendre "deux à trois jours".
Christophe de Margerie sera inhumé mardi dans l'intimité à Saint-Pair-sur-Mer (Normandie, nord-ouest de la France) et non lundi, a-t-on appris jeudi auprès de deux sources locales qui ont requis l'anonymat. Ces sources ignoraient la raison de ce report.