par Caroline Pailliez
PARIS (Reuters) - Le président du Haut conseil de financement de la Sécurité sociale, qui a remis jeudi un rapport très attendu sur la dépendance, propose de pérenniser la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) pour financer la perte d'autonomie, dont le coût risque d'exploser à moyen terme.
Le rapport de Dominique Libault, élaboré à l'issue de quatre mois de concertation, émet 175 propositions visant à améliorer la prise en charge des personnes en perte d'autonomie dont le nombre doit doubler en 2050 pour arriver à 2,2 millions.
Le texte prévoit une réorganisation du secteur pour qu'il gagne en lisibilité et accessibilité, prône le renforcement de l'attractivité des métiers liés au grand âge, entend diminuer le reste à charge des familles et faire de la prévention une priorité, en révisant la structure de financement.
Emmanuel Macron a dit en juin dernier qu'il souhaitait faire de la dépendance "un nouveau risque" financé par la solidarité, au même titre que la maladie, les accidents du travail et maladies professionnelles, la famille et la vieillesse.
Or, l'ensemble de ces mesures, ainsi que le seul vieillissement de la population, conduiraient à augmenter de 35% la dépense publique affectée à la dépendance en 2030.
Cette dépense, qui est aujourd'hui de 23,7 milliards d'euros, augmenterait ainsi de 6,2 milliards d'euros en 2024 et de 9,2 milliards d'euros en 2030, passant de 1,2% du PIB à 1,6% d'ici plus de dix ans.
Face à ce besoin accru de financement, Dominique Libault propose de remplacer la CRDS, qui a servi à rembourser la dette sociale et doit être supprimée en 2024, par un prélèvement social pérenne, ce qui éviterait, selon lui une hausse des prélèvements obligatoires.
"PRIORISER" LES DÉPENSES DE DÉPENDANCE
Avant cette date, il propose de diriger les excédents de la Sécurité sociale vers la dépendance, de "prioriser" les dépenses relatives aux personnes âgées par rapport aux dépenses sociales et de ponctionner le Fonds de réserve des retraites (FRR) pour financer la rénovation des Ehpad (maisons médicalisées).
Il rejette l'idée évoquée par LaRem, le parti de la majorité présidentielle, d'instaurer une nouvelle journée de solidarité, ou encore du cercle de réflexion Terra Nova d'augmenter les droits sur les donations et sur les successions.
La proposition de Dominique Libault dégrade en revanche les comptes publics car elle détourne le financement du désendettement pour l'attribuer à de nouvelles dépenses, ce qui peut expliquer constituer un frein pour l'exécutif.
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, qui se dit sensible aux revendications des Français apparues sur l'imposition, a précisé jeudi devant l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis) qu'elle n'envisageait pas d'instaurer un nouveau prélèvement pour financer la dépendance.
Elle n'exclut pas, en revanche, une augmentation de la durée du travail pour faire face à ces nouveaux besoins, proposition que le Premier ministre Edouard Philippe et elle-même ont avancé la semaine dernière faisant bondir les syndicats.
"Nous savons aujourd'hui que nous allons vivre de plus en plus longtemps, que le nombre de retraités va augmenter, que la durée de la retraite va augmenter et que la dépendance va susciter des moyens supplémentaires", a-t-elle dit.
"Une fois qu'on a dit ça, n'importe quel citoyen français comprend que nous ne pourrons pas indéfiniment rester sur le modèle actuel, sans travailler un peu plus".
Agnès Buzyn a annoncé qu'elle comptait mettre en place un plan de revalorisation des métiers liés au grand âge, comme le préconise le rapport. Le projet de loi sur ce chantier devrait être présenté en conseil des ministres à l'automne 2019.
EHPAD PAS RÉNOVÉS DEPUIS 25 ANS
Pour l'instant, les dépenses publiques liées à la dépendance ne représentent que 3% des dépenses de la protection sociale, selon Dominique Libault, qui souhaiterait amener cette proportion à 4% et rejoindre les niveaux des pays européens où la prise en charge à la perte d'autonomie est meilleure. La Suède consacre 2,7% de son PIB au financement de la dépendance et l'Allemagne 1,4%, contre 1,2% en France.
Or, les besoins de réforme sont criants. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), 23% des établissements n'ont pas été rénovés depuis 25 ans.
La qualité de l'accompagnement est perçue comme très hétérogène d'un territoire à l'autre. Le reste à charge pour les bénéficiaires se situe en moyenne à 1.850 euros par mois et excède les ressources des personnes âgées dans 75% des cas.
La Mutualité française, qui fédère la quasi-totalité des mutuelles en France, a salué dans un communiqué les propositions du rapport mais estime que l'objectif de baisse du reste à charge - 300 euros pour les personnes gagnant entre 1.000 et 1.600 euros - "pourrait être plus ambitieux". Elle préconise par ailleurs le recours aux assurances privées dans le financement, en complément de la solidarité.
A l'inverse, la CFDT veut éviter le développement des contrats d'assurances privés, "porteurs d'inégalités". Elle dit soutenir la proposition de Dominique Libault de maintenir la CRDS et ajoute que des financements complémentaires pourraient être mobilisés autour des droits de succession.
La CGT estime pour sa part que les mesures budgétaires seront "largement insuffisantes" pour répondre aux questions portant sur la présence humaine, la revalorisation des carrières et des salaires et l'accessibilité financière.
(Edité par Yves Clarisse)