D'immenses cheminées bleues visibles à des kilomètres à la ronde annoncent près de Dakar la cimenterie du milliardaire nigérian Aliko Dangote auquel s'oppose le groupe cimentier français Vicat qui dénonce une "distorsion de concurrence" sur un marché déjà saturé.
Aliko Dangote, homme le plus riche d'Afrique, selon le magazine Forbes, a construit cette cimenterie - la troisième du Sénégal - à une cinquantaine de km de Dakar: elle doit théoriquement commencer sa production d'ici juin.
Mais "Vicat a déposé le 6 novembre (2013) une demande d'arbitrage contre l'Etat sénégalais pour distorsion de concurrence" auprès de la Cour commune de justice et d'arbitrage (CCJA) d'Abidjan, indique Boubacar Camara, président du conseil d'administration de la Sococim, filiale sénégalaise du cimentier français.
Selon lui, "c'est la première fois dans l'histoire du Sénégal qu'on voit s'implanter une usine en violant autant de règles". "Une cimenterie, c'est dangereux, il faut des permis, des autorisations préalables, il faut également procéder à une étude d'impact environnemental. Ca n'a pas été fait", affirme M. Camara.
Il met également en cause "le choix technologique d'une centrale à charbon avec refroidissement à eau" qui fera "puiser 4.500 m3 d'eau par jour dans la nappe phréatique (d'un) pays sahélien comme le Sénégal".
"C'est une course contre la montre", selon M. Camara. "Dès que la production aura commencé, ce sera beaucoup plus difficile d'intervenir. Vu les conditions dans lesquelles il a installé son usine, Dangote peut arriver et fixer les prix qu'il veut".
Sollicitée par l'AFP, la direction de Dangote au Sénégal n'a pas souhaité s'exprimer.
Selon une source proche du dossier au ministère sénégalais des Mines, rien ne permet à l'Etat de s'opposer à cette cimenterie. "Au départ, il y avait des choses peu orthodoxes en matière de procédure que Dangote a régularisées", affirme cette source en précisant que "le principal problème était l'étude d'impact environnemental".
Début janvier, le président François Hollande a écrit à son homologue sénégalais Macky Sall "afin de le sensibiliser aux difficultés rencontrées par la Sococim". M. Sall a répondu en substance "que force reste à la loi et aux juridictions sénégalaises", selon une source à la présidence sénégalaise.
- 4.000 emplois créés -
Les terrains du site de la cimenterie étaient utilisés "par des milliers d'agriculteurs, pour leurs bêtes et leurs champs, on les a attribuées à un seul homme", déplore un habitant du village de Galane où a été construite l'usine. "Nous avons peur qu'elle nous empêche de cultiver et d'élever nos bêtes", affirme Oumy Bâ, chef du village.
Mais selon Bougouma Thiongane, dirigeant associatif local, le projet de Dangote a plutôt été "accueilli à bras ouverts" par les populations. Galane et les villages alentour n'ont ni eau ni électricité "et Dangote a promis de les en doter, il y aura des retombées avec des emplois pour les jeunes", affirme-t-il.
Un différend foncier entre Dangote et une famille maraboutique a interrompu momentanément les travaux de construction, mais Dangote a offert un dédommagement de 9,1 millions d'euros.
Désormais, la cimenterie, une des plus grandes d'Afrique, est prête à fonctionner "d'ici 90 jours" et va créer "4.000 emplois", a déclaré cette semaine au magazine Financial Afrik, le directeur général de Dangote au Sénégal, Aramine Mbacké.
L'investissement a été de 457,3 millions d'euros et l'usine aura "une production annuelle de trois millions de tonnes de ciment dont les 3/5 seront injectés dans le marché local", selon lui.
La cimenterie de Dangote émerge dans un climat de concurrence accrue entre la Sococim (65% des parts du marché de ciment au Sénégal) et les Ciments du Sahel (35%).
"Les deux usines ont déjà une capacité cumulée de six millions de tonnes pour un marché de deux millions de tonnes. Elles produisent en dessous de leurs capacités. Ca permet de comprendre pourquoi cette guerre", affirme un responsable du ministère des Mines.
Le ciment produit au Sénégal était en partie exporté en Afrique de l'Ouest, mais ce marché s'est rétréci avec la création de cimenteries dans plusieurs pays. "Dans la sous-région, tout le monde veut faire du ciment", dit le responsable du ministère.