Dans un pays plongé depuis deux ans dans un conflit sanglant, le nombre de passagers de la compagnie d'aviation nationale Syrian Air ne fléchit pas, ses vols intérieurs et internationaux affichent complets, car prendre la route est devenu trop dangereux.
Cette situation paradoxale pour un pays en guerre s'explique par l'insécurité qui règne sur les routes du pays -barrages, risque d'attaques crapuleuses, voire d'enlèvements- mais aussi par la décision des Occidentaux et les arabes de suspendre tous leurs vols dans le cadre d'une série de sanctions contre le régime de Bachar al-Assad.
"Nous assurons environs 20 vols par jour vers l'étranger et dans le pays ce qui signifie que nous transportons environ 3.000 passagers. Il n'y a pas une seule place de libre et c'est vrai que nous faisons même du surbooking", assure à l'AFP le directeur des opérations au sol de le compagnie Tarek Wahiba, installé dans son bureau de l'aéroport de Damas. Le nombre de vols intérieurs a été multiplié par quatre durant le conflit, précise-t-il.
Avec six Airbus 320 et deux ATR 72/500, la Syrian, seule compagnie syrienne, assure des liaisons avec les pays du Golfe, y compris l'Arabie saoudite, l'Irak, la Jordanie, le Liban, l'Egypte, le Soudan, l'Algérie et la Russie, principal allié de la Syrie face aux Occidentaux. La seule compagnie étrangère à continuer à desservir la Syrie est la compagnie irakienne Iraqi Airways.
"Maintenant que la saison d'été arrive, nous allons augmenter (le nombre de) vols en provenance du Golfe car beaucoup de Syriens viennent en vacances en dépit de la situation", dit-il.
Mais c'est surtout sur les vols intérieurs que la demande a grimpé en flèche. Une équipe de l'AFP a effectué dans la même journée un vol Damas, Qamishli (nord-est), Lattaquié (ouest), Qamishli et retour à Damas.
"Nous pilotons un Airbus mais nous sommes devenus un omnibus. C'est impératif car la demande est vraiment forte sur les lignes intérieures" explique le copilote Firas Smaïl.
Acompagné de sa femme Farah, Moutlaq al-Abbas, moukhtar (agent de l'état civil) de Hajja al Kabira, près de Qamishli, se rend à Lattaquié pour voir son médecin.
"Nous avons choisi l'avion car la route n'est pas sure. Il y a des groupes armés. Si nous y allons en voiture, ils la prennent, et si nous voyageons en bus, ils l'arrêtent et nous dépouillent", dit-il.
"Trésors d'ingéniosité"
Un billet aller-retour Damas-Lattaquié coûte 5.000 LS (50 dollars). Syrian assure 40 vols par semaine sur Lattaquié, Qamishili, Deir Ezzor (est) et normalement Alep (nord). Mais l'aéroport est fermé depuis des mois en raison de la présence de rebelles sur la route.
"Les troubles ont changé la mentalité des Syriens, avant il ne leur serait pas venu à l'idée de prendre l'avion, maintenant c'est le contraire, il ne leur vient plus à l'idée de prendre leur voiture", note ravi M. Wahiba.
Mais ce sont les sanctions qui gênent vraiment la compagnie, notamment l'absence de pièces de rechange. "Il y a des pièces que nous ne pouvons pas avoir car Airbus refuse de nous les livrer et nos techniciens font preuve de trésors d'ingéniosité pour que nos appareils volent", explique le capitaine Maher Issa, pilote syro-irlandais depuis 1984.
"Et pourtant, nous volons sur un avion civil et je transporte 11 enfants, 47 femmes et et 90 hommes. Il n'y a aucune arme à bord ni aucune matière dangereuse. Tout cela nous rend la vie difficile bien sûr, mais surtout aux passagers", ajoute-t-il.
Jeudi, le Trésor américain a cependant placé la compagnie sur liste noire l'accusant de transporter des armes.
Autre problème, la fermeture de l'espace aérien turc en raison des relations exécrables entre les deux pays. Avant, pour rejoindre Moscou, il fallait passer par la Turquie, maintenant il faut bifurquer vers l'est, l'Irak, l'Iran, le Kazakhstan, bref 6 heures au lieu de 4 heures.
En outre, les pilotes passent souvent leur nuit à l'aéroport de Damas, car la route, actuellement sous le contrôle de l'armée, peut être fermée à tout moment en cas d'incident.
Le capitaine Issa explique ainsi qu'il préfère passer plusieurs nuits à l'aéroport pour être "disponible en cas de besoin".
En tout cas, cela n'entame pas sa bonne humeur. "Tant que j'aurai un appareil avec deux ailes et un moteur je continuerai à voler", jure-t-il.