par Maha El Dahan, Jeffrey Heller et Steve Holland
DUBAI/JERUSALEM/WASHINGTON (Reuters) - Israël et les Emirats arabes unis (EAU) ont annoncé jeudi un accord de paix négocié sous l'égide de Donald Trump censé conduire à une normalisation complète des relations diplomatiques entre les deux pays du Moyen-Orient.
Cette percée diplomatique, qui était en négociation depuis un an et demi, est de nature à remodeler le contexte politique au Moyen-Orient. A Ramallah, la direction palestinienne l'a dénoncé, y voyant une trahison de la cause palestinienne.
L'accord prévoit qu'Israël suspende l'application de sa souveraineté sur plusieurs zones de Cisjordanie dont il évoquait l'annexion, ont précisé à Reuters plusieurs responsables de la Maison blanche.
Après de longues discussions tripartites, qui se sont accélérées récemment, l'accord a été conclu jeudi par téléphone entre Donald Trump, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, et le cheik Mohammed ben Zayed, prince héritier d'Abou Dhabi, précise la présidence américaine.
La Maison blanche présente ces "accords d'Abraham" comme les premiers du genre conclus depuis celui scellé il y a vingt-six ans entre Israël et la Jordanie.
Israël a signé la paix avec l'Egypte en 1979 et avec Amman en 1994. Les Emirats deviennent le premier Etat du Golfe à nouer un accord de ce type avec l'Etat hébreu.
Un communiqué commun des trois pays précise que Donald Trump, Benjamin Netanyahu et Cheikh Mohammed ben Zayed ont "convenu de la normalisation complète des relations entre Israël et les Emirats arabes unis".
"Cette avancée diplomatique historique va faire progresser la paix dans la région du Moyen-Orient et témoigne de la diplomatie audacieuse et de la vision des trois dirigeants ainsi que du courage des Emirats arabes unis et d'Israël pour tracer un nouveau chemin qui permettra de révéler l'énorme potentiel de la région", ajoute-t-il.
Le communiqué précise aussi que "du fait de cette percée diplomatique et sur la requête du président Trump avec le soutien des Emirats arabes unis, Israël suspendra la déclaration de sa souveraineté" sur des secteurs de Cisjordanie envisagée par le gouvernement de Benjamin Netanyahu.
"NOUS NE SOMMES PAS UNE FEUILLE DE VIGNE"
Les Emirats ont assuré qu'ils resteraient un fervent soutien du peuple palestinien et que l'accord avec Israël permettrait d'assurer la viabilité de la solution à deux Etats pour résoudre le conflit israélo-palestinien.
Mais la direction palestinienne n'y croit pas. C'est une "trahison de Jérusalem, d'Al Aqsa et de la cause palestinienne", a dit Nabil Abou Roudeineh, proche conseiller du président palestinien Mahmoud Abbas, tandis qu'Hanane Achraoui, membre du comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), prévenait que les Emirats ne pourront pas se cacher derrière un soutien à la cause palestinienne. "Nous ne sommes pas une feuille de vigne", a-t-elle dit.
Elle a précisé que la direction palestinienne avait été laissée totalement à l'écart des négociations qui, selon Jared Kushner, gendre et conseiller spécial de Trump, ont duré dix-huit mois, avec une accélération depuis début juillet et une finalisation mercredi.
Cet accord offre au président américain l'occasion d'afficher un résultat spectaculaire de politique étrangère à moins de trois mois de l'élection présidentielle américaine du 3 novembre.
"ENORME percée aujourd'hui !", a-t-il dit sur Twitter (NYSE:TWTR). "Accord de paix historique entre nos deux GRANDS amis, Israël et les Emirats arabes unis."
Donald Trump a ajouté qu'il prévoyait de présider une cérémonie de signature de l'accord dans quelques semaines à Washington et dit espérer que d'autres accords similaires puissent être conclus au Moyen-Orient.
Des délégations israéliennes et des Emirats doivent se rencontrer dans les semaines à venir pour signer des accords bilatéraux portant sur l'investissement, le tourisme, des liaisons aériennes directes, la sécurité, les télécommunications et d'autres sujets, poursuit le communiqué.
Israël et les Emirats devraient aussi échanger prochainement des ambassadeurs.
TÉHÉRAN CONDAMNE "L'ERREUR STRATÉGIQUE" DES ÉMIRATS
L'accord pourrait aussi aboutir à améliorer l'accès des musulmans à la mosquée Al-Aksa dans la vieille ville de Jérusalem, ajoute la Maison blanche.
En Israël, où Benjamin Netanyahu a salué un "jour historique" pour l'Etat hébreu dans une allocution télévisée, un haut responsable gouvernemental a déclaré que le projet d'annexion de territoires en Cisjordanie était toujours à l'ordre du jour.
"L'administration Trump nous a demandé de suspendre temporairement l'annonce sur la souveraineté afin que cet accord historique avec les Emirats puisse être mis en oeuvre", a-t-il expliqué.
Anouar Gargash, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, a estimé que l'accord permettait de désamorcer la "bombe à retardement" de cette extension de la souveraineté israélienne qui menaçait la solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien et a exhorté Israéliens et Palestiniens à relancer leurs négociations.
La Jordanie a indiqué de son côté que cet accord pourrait favoriser une reprise des négociations de paix s'il réussit à conduire Israël à accepter la création d'un Etat palestinien sur les territoires occupés depuis la guerre des Six Jours, en 1967.
Avec moins de 10 millions d'habitants, mais la deuxième économie du monde arabe grâce à leurs hydrocarbures, les Emirats exercent une influence croissante, tant commerciale que militaire, dans le Golfe et au-delà, avec un accent mis sur la lutte contre l'influence de l'Iran et contre des groupes islamistes armés.
Cet accord est un "cauchemar" pour l'Iran, a du reste commenté le diplomate américain Brian Hook, émissaire de Donald Trump au Moyen-Orient.
A Téhéran, Hossein Amir-Abdollahian, conseiller spécial du président du parlement, a fustigé l'absence de toute justification au comportement d'Abou Dhabi, qu'il accuse de "tourner le dos à la cause palestinienne".
"Avec cette erreur stratégique, ajoute-t-il, les Emirats arabes unis vont être engloutis dans l'incendie du sionisme."
(avec Lisa Barrington; version française Marc Angrand, Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André)