par Balazs Koranyi et John O'Donnell
FRANCFORT (Reuters) - Le fait que la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi des mesures d'assouplissement monétaire nettement en-deçà des attentes s'explique largement par la volonté des membres les plus orthodoxes de l'institut d'émission de rappeler à l'ordre son président Mario Draghi, ont dit des sources au fait des discussions.
Ce dernier ainsi que l'économiste en chef de la BCE Peter Praet avaient multiplié, au cours des semaines précédant la réunion de politique monétaire du 3 décembre, des propos disant que la BCE était prête à agir vite pour faire remonter l'inflation, laissant ainsi espérer un plan de soutien de grande ampleur à l'activité.
Mais, selon les sources, le conseil des gouverneurs de la BCE a décidé que, cette fois, il fallait décevoir les acteurs de marché, estimant notamment que les perspectives économiques s'étaient améliorées et que les nouvelles projections d'inflation n'étaient pas aussi mauvaises que redouté.
Les membres du conseil ont également gardé à l'esprit la quasi-certitude de voir la Réserve fédérale américaine relever ses taux d'intérêt le 16 décembre, jugeant que des mesures trop radicales de la BCE auraient affaibli encore davantage l'euro, voire contraint la Fed à temporiser pour éviter une divergence encore plus marquée entre les politiques des deux banques centrales.
La BCE a finalement abaissé l'un de ses taux directeurs et prolongé d'au moins six mois son programme d'achats de titres sur les marchés, faisant ainsi, aux yeux des investisseurs, le service minimum par rapport aux signaux qu'elle avait précédemment émis.
Cela s'est traduit par une chute entre 2% et 5% des principaux indices boursiers européens sur l'ensemble de la semaine dernière et une envolée de l'euro par rapport au dollar.
Vendredi, Mario Draghi a tenté de rectifier le tir en disant que la BCE restait prête à mettre en oeuvre des mesures supplémentaires si nécessaire.
ON NE PEUT ÊTRE TOUJOURS UN PARFAIT COMMUNICANT
Une source au fait de la situation a interprété les prises de position de Mario Draghi avant la réunion de jeudi comme une tentative de faire pression sur le conseil des gouverneurs pour qu'il décide de mesures de grande portée.
"Mario Draghi a délibérément laissé grossir les attentes afin d'acculer le conseil des gouverneurs. Cela était problématique et il été critiqué en privé par plusieurs gouverneurs", a précisé la source.
Contrairement à l'année dernière, quand les "faucons" de la BCE avaient publiquement pris position contre le programme d'assouplissement quantitatif finalement été lancé en mars de cette année, les tenants de l'orthodoxie monétaire ont plutôt travaillé en coulisses.
Ils ont ainsi fait en sorte que les idées les plus radicales des comités de la BCE préparant les décisions de de politique monétaire n'arrivent pas à la table des discussions.
"Ce qui a été adopté au bout du compte fut un ensemble d'options susceptibles de recueillir une majorité confortable. Des mesures plus inhabituelles n'ont même pas été proposées", a dit une autre source.
Jusqu'à la déception provoquée par l'annonce de jeudi, Mario Draghi avait bâti une réputation d'un banquier central qui annonce et prend des décisions fortes, à l'instar de son engagement pris en juillet 2012 de faire tout ce qui était nécessaire pour préserver l'euro ou encore de la mise en place d'un programme d'assouplissement quantitatif plus vaste que prévu en début d'année.
"Comme la Fed plus tôt dans l'année, la BCE a réussi à semer la confusion (...) A partir de maintenant, les intervenants de marché accueilleront avec beaucoup plus de scepticisme qu'auparavant les allusions que pourront faire Mario Draghi et certains de ses collègues", a noté le courtier Berenberg.
D'autres sources ont toutefois dit que, si Mario Draghi a pu faire une erreur de communication en alimentant de manière excessive les anticipations, il a quand même réussi à obtenir un large consensus autour des décisions de la BCE et prouvé qu'il n'était pas guidé par les marchés financiers comme cela lui est parfois reproché.
"Jusqu'ici, Mario Draghi a toujours fait figure de communicant parfait. Peut-être que l'on ne peut pas toujours être parfait", a dit l'une de ces sources.
Après des créations d'emplois supérieures aux attentes au mois de novembre aux Etats-Unis, il paraît désormais acquis que la Fed procèdera à une première hausse des taux d'intérêt en près de 10 ans à l'issue de sa réunion de politique monétaire des 15 et 16 décembre.
"Si nous (la BCE) avions adopté un programme de trop grande ampleur, l'euro aurait pu passer sous la parité avec le dollar et il aurait été plus difficile pour (la présidente de la Fed) Janet Yellen de défendre un dollar encore plus fort. Maintenant, la Fed devrait être plus à l'aise dans sa prise de décision", a dit une autre source.
Mais si l'euro a bondi de 4% jeudi face au dollar, il reste en baisse de quelque 11% depuis le début de l'année.
(Benoit Van Overstraeten pour le service français, édité par Véronique Tison)