Les tensions avec la Russie viennent compliquer encore le remaniement laborieux par l'Allemagne de sa politique énergétique, en lui rappelant à quel point elle est dépendante de ce pays pour son approvisionnement en gaz.
Cette prise de conscience doit-elle conduire à avancer encore plus vite dans le développement des renouvelables, comme le réclament par exemple les Verts, ou au contraire à se tourner vers d'autres sources d'énergie? A l'horizon 2050, les renouvelables doivent représenter 80% de la consommation d'électricité de l'Allemagne. Mais alors que le nucléaire va être graduellement abandonné, le gaz doit servir pendant quelques années encore d'énergie de transition. Et 35% du gaz consommé en Allemagne provient de Russie.
Une petite phrase d'Angela Merkel la semaine dernière, en apparence anodine, donne du grain à moudre à nombre observateurs. La crise en Ukraine va conduire à "une nouvelle manière de voir la politique énergétique", a dit la chancelière.
Certains ont interprété ces propos comme un appel à reconsidérer la transition énergétique et ses objectifs, qu'elle a définis il y a trois ans. D'aucuns veulent même voir dans cette phrase, prononcée en présence du Premier ministre canadien Stephen Harper, l'amorce d'un virage vers le gaz de schiste.
- le fracking sur le tapis -
Lors de leur conférence de presse commune, M. Harper a proposé ses services: le Canada est tout disposé à exporter son gaz naturel, a-t-il dit, alors que plane la menace de sanctions économiques contre Moscou.
"Si la chancelière mise maintenant sur des importations en provenance d'Amérique du Nord, c'est un +oui+ clair à l'exploitation du gaz de schiste", s'est empressé de conclure le député conservateur Peter Ramsauer, ex-ministre de Mme Merkel, "et alors la question se pose: pourquoi ne pas se tourner vers nos ressources domestiques".
Le législateur allemand ne s'est pas prononcé sur la fracturation hydraulique, ou fracking, technique contestée d'exploitation du gaz de schiste, mais l'opposition forte de la population et d'une partie de la sphère politique rend pour le moment improbable son utilisation.
Ses partisans -l'industrie notamment, qui dénonce sans cesse le désavantage compétitif dans lequel la place la cherté de l'électricité en Europe- voient dans le débat autour de la dépendance de l'Allemagne au gaz russe la chance de faire avancer leur cause.
Mais le ministre de l’Économie et de l’Énergie Sigmar Gabriel et la ministre de l'Environnement Barbara Hendricks, sociaux-démocrates tous les deux, se sont empressés de refermer la porte. "Nous ne voulons en aucun cas du fracking", a dit cette dernière lundi. De toute façon, il n'y a "pas d'alternatives raisonnables" au gaz russe pour le moment, avait déclaré en fin de semaine M. Gabriel.
- négociations déjà ardues -
Le sujet tombe d'autant plus mal que le gouvernement a déjà fort à faire avec la refonte de son système de subventionnement des énergies propres, pierre angulaire de la transition énergétique.
Le projet de loi correspondant, l'un des plus gros chantiers du gouvernement Merkel III, doit être approuvé en conseil des ministres la semaine prochaine, mais est encore loin d'être bouclé. Conçu notamment pour alléger la facture des consommateurs en réduisant les subventions aux renouvelables, il fait l'objet de nombreuses critiques de la part des Länder.
Les chefs de gouvernement de ceux-ci ont été reçus par la chancelière mardi soir, dans une tentative d'aplanir les différends. Les Länder du nord s'insurgent contre la baisse des subventions à l'éolien, la Bavière et la Thuringe ne veulent pas de nouvelles lignes à haute tension sur leur territoire.
A l'issue de cette réunion, Angela Merkel a toutefois assuré que des "discussions intensives" avaient permis de dégager "un accord dans les grandes lignes".
Berlin doit aussi aménager le régime de faveur accordé aux entreprises grosses consommatrices d'électricité, qui est dans le collimateur de Bruxelles. Pour le moment les négociations avec le commissaire européen à la Concurrence Joaquin Almunia n'ont pas abouti.