Restructurée tambour battant depuis 2008, Lalique a renoué avec les profits. Ce fleuron de la cristallerie française, recentré sur ses terres alsaciennes, veut désormais faire rayonner sa griffe dans l'univers du luxe, des bijoux à la décoration d'intérieur.
Respect de la tradition d'un côté, modernisation de l'autre: l'usine historique de Wingen-sur-Moder, dans l'est de la France, tout près de l'Allemagne, d'où sortent chaque année quelque 400.000 pièces estampillées Lalique, incarne la stratégie menée depuis quatre ans par le nouveau propriétaire, le groupe suisse Art et Fragrance.
Dans l'atelier du "verre chaud", des hommes en sueur accomplissent une chorégraphie millimétrée pour actionner à la force des bras les manettes des moules. Au "verre froid", dans une ambiance plus feutrée, des mains expertes taillent, cisèlent, gravent, polissent et satinent le cristal refroidi.
"On peut passer une semaine de travail manuel sur certaines pièces", explique le responsable de la qualité, Olivier Grandval, tout en scrutant les effets de lumière sur des flacons, vases et autres statues, tout juste achevés.
Depuis son arrivée en 2008, le Pdg de Lalique, Silvio Denz, a restructuré en profondeur la cristallerie, n'hésitant pas à fermer dès 2009 un centre logistique en Seine-et-Marne, près de Paris. Les effectifs sont passés de près de 600 à moins de 400 salariés dans le monde.
"Mais je n'ai pas touché aux effectifs de l'usine de Wingen (230 personnes), c'était très important pour moi de garder leur savoir-faire", explique le Suisse, également président du conseil d'administration d'Art et Fragrance.
"Une grande marque Lifestyle"
Lalique a déjà investi plus de 13 millions d'euros, notamment pour améliorer la production. Un nouveau four électrique a été acquis et la logistique a été réinstallée en Alsace. "Aujourd'hui, on a besoin de faire 30% de chiffre d'affaires en moins pour être à l'équilibre", se félicite M. Denz.
Parallèlement, pour trouver de nouveaux débouchés, Lalique a multiplié l'an dernier les ouvertures de boutiques dans de grandes métropoles, en particulier à Hong Kong, Singapour, New Delhi ou encore Dubaï.
Car son chiffre d'affaires dépend encore beaucoup de son principal marché, l'Europe (53% pour Lalique Cristal), devant l'Amérique du Nord (20%). C'est en Asie (18%) et au Proche et Moyen-Orient (7%) que se trouvent les principaux marchés à conquérir.
Les efforts commencent à porter leurs fruits: en 2011, Lalique a enregistré sa deuxième année de bénéfices après dix ans de pertes et des difficultés qui avaient poussé le précédent propriétaire, le groupe Pochet, à s'en séparer. Le chiffre d'affaires a augmenté de près de 25%, à près de 50 millions d'euros, avec des prévisions pour 2012 à la hausse.
Depuis un an, Silvio Denz peut se consacrer pleinement à son grand dessein: faire de Lalique "une grande marque Lifestyle", dont la réputation ne se limiterait plus à celle de son cristal.
Des créateurs de bijoux, des architectes et des décorateurs d'intérieur ont été recrutés et des collections lancées dans chacune de ces branches. "Nous sommes capables aujourd'hui de proposer à un client une maison tout en Lalique", explique le Pdg.
La cristallerie multiplie aussi les partenariats: une enceinte développée avec le musicien Jean-Michel Jarre, à un millier d'exemplaires, un accord avec Bentley pour des voitures de luxe "Bentley by Lalique" ou encore des accords avec les stylos Montblanc.
"On veut aussi travailler avec des artistes contemporains", explique l'entrepreneur. Lalique a ainsi réalisé environ 80 reproductions en cristal d'une sculpture du plasticien français Yves Klein.
Pour ce projet, la cristallerie a renoué avec le procédé de la cire perdue, une technique ancienne, utilisée jadis par René Lalique (1880-1945), qui installa sa verrerie en 1921 à Wingen-sur-Moder.
Le bijoutier, devenu maître verrier, avait connu la célébrité notamment pour ses luxueux flacons de parfum. Mais ce créateur éclectique, qui a marqué le mouvement de l'Art nouveau puis celui de l'Art Déco, a aussi signé des bouchons de radiateurs pour automobiles, ou encore décoré les wagons de l'Orient Express et la salle à manger du paquebot "Normandie".
"Je veux garder l'ADN de René Lalique", insiste M. Denz, pour qui la diversification de Lalique est une sorte de retour aux sources.