Le Premier ministre Manuel Valls a reçu une "standing ovation" des patrons réunis mercredi pour l'université d'été du Medef, après avoir proclamé un amour de l'entreprise rarement exprimé avec autant d'enthousiasme par un dirigeant de la gauche.
Ils étaient 3.600 applaudissant à tout rompre, debout sous un grand chapiteau dans le parc du campus de l'école de commerce HEC, à la fin d'un discours décomplexé.
Un discours présenté par Matignon comme "de mobilisation nationale", tenu à peine 24 heures après la formation d'un nouveau gouvernement. Un discours destiné à confirmer le cap d'une politique de l'offre, c'est-à-dire de soutien aux entreprises pour relever l'économie et créer des emplois.
Sa venue était symbolique: M. Valls n'est que le deuxième Premier ministre depuis la création du Medef en 1998 à se rendre à l'université d'été de la principale organisation patronale française.
Le chef du gouvernement a tout d'abord fustigé l'habitude française des relations conflictuelles: "Cessons d’opposer systématiquement ! D'opposer Etat et entreprises ! D’opposer chefs d’entreprise et salariés; organisations patronales et syndicats !", a-t-il lancé, immédiatement interrompu par une première salve d'applaudissements.
Dans son discours, prononcé juste avant d'aller accueillir M. Valls, le président du Medef Pierre Gattaz avait tenu des propos similaires.
"Mesdames et Messieurs les chefs d'entreprise, Mmes et MM. les entrepreneurs, la France a besoin de vous. La France a besoin de ses entreprises. De toutes ses entreprises", a poursuivi M. Valls.
Il a rendu hommage à leur rôle dans la création de richesses, à la mobilisation de leurs salariés.
Mais aussi au fait qu'"elles risquent les capitaux de leurs actionnaires", sujet polémique au moment où l'Etat annonce des baisses de charges et attend en retour des créations d'emplois, tandis qu'à gauche des voix s'élèvent pour dénoncer des hausses de dividendes versés aux actionnaires.
"Et moi, j'aime l'entreprise, j'aime l'entreprise !", a enfin clamé M. Valls.
Il a jugé "absurde de parler de cadeaux aux patrons", s'attirant bravos et applaudissements.
"Une mesure favorable à l'entreprise est une mesure favorable à tout le pays", a-t-il estimé ouvrant la voie à des discussions sur le travail du dimanche, une "simplification" du code du travail, la réforme des seuils sociaux qui imposent une série d'obligations aux entreprises au-delà de 10 puis de 50 salariés et freinent, selon le patronat, l'embauche.
"C'est un discours de lucidité, de pragmatisme, de clairvoyance beaucoup, de courage. Il a fait sauter des tabous aujourd'hui", s'est peu après félicité Pierre Gattaz sur BFM Business.
"Discours dont on avait besoin. Il y aura peut-être un avant et un après ce discours de M. Valls", a-t-il renchéri dans un tweet.
- 'Trouver un équilibre' -
M. Gattaz, qui avait réitéré ses critiques en matinée sur le pacte de responsabilité, auquel il apporte son soutien mais qu'il juge insuffisant et tardif, est revenu à la charge avant l'arrivée du chef du gouvernement.
Frôlant la provocation, il a même appelé à cesser de "raisonner en termes de donnant-donnant" -- allusion aux contreparties attendues des entreprises en termes d'emploi-- et à préférer "la confiance", recevant lui aussi son lot d'approbations bruyantes.
M. Valls, qui n'était pas présent mais avait de toute évidence étudié le discours du patron des patrons avant d'arriver, a relevé: "Pour réussir une négociation (...) il faut trouver un équilibre -- je n'ose pas dire du donnant-donnant, si j'ai bien compris--", a-t-il dit dans un léger sourire. "Un équilibre entre les engagements des uns et des autres", a-t-il précisé.
Ses propos ont vite suscité l'aigreur parmi les frondeurs du PS. Le député Laurent Baumel les a qualifiés de "copié-collé" des discours de Tony Blair, et a affirmé pouvoir "difficilement cacher (son) trouble".
A la tête du Parti travailliste, puis comme chef du gouvernement britannique, Tony Blair avait réformé en profondeur l'idéologie de son parti, désormais surnommé le New Labour, le convertissant à l'économie de marché.
Le secrétaire général de Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly, a raillé la "standing ovation" reçue par Manuel Valls, estimant que le Premier ministre était "un bon communicant". "Je n'applaudis pas", a commenté M. Mailly, dénonçant la politique économique d'un gouvernement qui donne l'impression, selon lui, d'être "dans les cordes".
Le discours de Manuel Valls au Medef le jour de la publication d'un nouveau record du chômage témoigne d'une confusion des genres "scandaleuse", a de son côté dénoncé Thierry Lepaon, secrétaire général de la CGT.
Le Premier ministre "passe sous silence les 220 milliards d'euros d'aides publiques aux entreprises qui ne sont soumises à aucune évaluation, alors que tous les observateurs attentifs constatent que le versement du CICE (Crédit d'impôts compétitivité emploi, NDLR) n'a servi ni à l'investissement, ni à l'emploi", ajouté le syndicaliste.