La querelle autour de la commande des nouveaux trains de la compagnie transmanche Eurostar au groupe allemand Siemens s'envenime après la décision du perdant, le français Alstom, de porter l'affaire devant la justice.
Alstom a déposé une plainte devant la Haute cour de justice de Londres pour obtenir la suspension de l'appel d'offres au terme duquel la compagnie transmanche a choisi dix nouveaux trains à grande vitesse Siemens, pour quelque 600 millions d'euros.
"Siemens a remporté cet appel d’offres en remettant une offre sensiblement meilleure que celle présentée par Alstom sur des aspects clés pour Eurostar", a indiqué mercredi la compagnie ferroviaire, filiale à 55% de la SNCF.
La décision d'Eurostar a suscité l'ire du gouvernent français, qui lui reproche d'avoir anticipé la révision à venir des normes de sécurité dans le tunnel.
Paris reproche notamment le choix d'une motorisation répartie le long des rames, ce qui permet de gagner de la place mais augmenterait aussi les risques d'incendie, et réduirait les chances de redémarrage du train par ses propres moyens après un accident (alors que s'il y a une motrice à chaque extrémité, l'une des deux devrait rester en état de marche).
Le secrétaire d'Etat aux Transports français Dominique Bussereau a même estimé que la commande était "nulle et non avenue".
"Il ne faut pas voir dans cette affaire un protectionnisme déguisé, ce serait absurde d'autant qu'Alstom proposait aussi des rames à motorisation répartie", a-t-il déclaré mercredi devant des députés, alors que les Allemands se sont émus de la tournure des événements.
Eurostar s'est appuyé pour son appel d'offres --resté secret jusqu'à la dernière minute-- sur des recommandations de la commission intergouvernementale franco-britannique au tunnel sous la Manche (CIG), publiées fin mars, préfigurant ce que devraient être les futures règles de sécurité.
M. Bussereau y a vu une "erreur commise par Eurostar" d'annoncer la commande avant que les nouvelles règles ne soient définitivement fixées.
Alstom tient le même discours pour expliquer son action en justice: "Cet appel d'offres ne peut pas être conclu tant que les spécifications des trains qui sont définies par Eurostar ne correspondent pas à la réglementation qui est demandée pour qu'un train passe dans le tunnel sous la Manche."
"Eurostar est profondément convaincu que les arguments soulevés par Alstom sont dénués de tout fondement", a réagi la compagnie transmanche, rappelant qu'"Alstom, comme Siemens, a proposé un train à motorisation répartie en réponse à cet appel d’offres".
"Cela n'a posé aucun problème à Alstom jusqu’à ce que ce dernier perde l'appel d’offres", a-t-elle souligné.
A cela, Alstom a expliqué à l'AFP que les spécifications requises par Eurostar "obligeaient à proposer de la motorisation répartie, pour caser le bon nombre de places" (la répartition des moteurs permettant d'augmenter la capacité des trains, puisque les motrices sont moins volumineuses).
"Mais on s'est inquiété, on a alerté plusieurs fois sur les problèmes de sécurité, et ils nous ont dit qu'ils ne s'engageraient pas à acheter des rames tant que la CIG n'aurait pas modifié les règles", a précisé une porte-parole du constructeur ferroviaire.
"Eurostar croit fermement que ce recours a pour unique objectif de retarder la finalisation d'un contrat passé avec un des concurrents, sélectionné au terme d'un appel d’offres conduit dans le respect des procédures", assure la compagnie transmanche, dont les dirigeants sont "confiants".
"On est toujours dans le processus de finalisation du contrat", a assuré une représentante d'Eurostar. La signature est imminente, a-t-on indiqué de sources proches du dossier.
En attendant, la première audience devant le tribunal londonien aura lieu lundi, selon Alstom.