La Commission européenne et le gouvernement britannique ont affiché leur soulagement après l'accord conclu vendredi pour organiser le Brexit. Mais les modalités du divorce sont loin d'être réglées par ce compromis provisoire, qui laisse des questions en suspens.
Après six mois de tractations, la percée de vendredi va permettre d'ouvrir une deuxième phase de discussions centrée sur la future relation commerciale entre l'UE et Londres, si les dirigeants des 27 en conviennent lors d'un sommet le 15 décembre à Bruxelles.
L'accord d'étape entre les deux parties, qui était l'objectif de la première phase, n'a pourtant pas fixé tous les termes de la séparation. "Il faut encore le travailler, le consolider, le préciser", a admis le négociateur en chef de l'UE, Michel Barnier.
Des passages du compromis de 15 pages soulignent aussi son caractère précaire. "Rien n'est décidé tant que tout n'est pas décidé", y lit-on en préambule. La conclusion enfonce le clou, précisant que le texte n'est accepté par Londres qu'"à la condition d'un accord global" avec l'UE, incluant "le cadre de (leur) future relation".
"Pas d'accord signifie que nous ne paierons pas", a insisté dimanche le ministre britannique chargé du Brexit, David Davis, en référence au règlement financier, au coeur du compromis de vendredi, avec les droits des citoyens et le sort de la frontière irlandaise.
Des questions subsistent aussi sur le montant des sommes dues par Londres, pour lesquelles les deux parties ont mis au point une "méthodologie" de calcul sans fixer de chiffres.
- Ambiguïtés -
"Nous ne pouvons pas calculer exactement les sommes en question, tous ces chiffres vont bouger", a assuré M. Barnier, alors que les estimations officieuses de l'UE ces derniers mois approchaient 60 milliards d'euros.
Le gouvernement britannique n'a pas hésité lui à faire une évaluation, entre 40 à 45 milliards d'euros.
Mais ce dernier calcul ne prend pas en compte des éléments comme les "passifs éventuels". Un négociateur européen cite l'exemple d'un prêt à l'Ukraine garanti par l'UE, qui pourrait entraîner des dépenses pour les 28, y compris Londres, dans l'hypothèse où il ne serait pas remboursé.
Des interrogations subsistent aussi dans le dossier des droits des citoyens.
Le compromis clarifie le sort des Britanniques installés ailleurs dans l'UE et des Européens sur le sol britannique. Il garantit que ceux installés avant la date de retrait, fin mars 2019, pourront conserver leurs droits.
Les membres proches de la famille garderont le droit de rejoindre le détenteur d'un permis de résidence. Mais qu'en est-il des futurs conjoints? Le texte ne les mentionne pas, mais leurs droits "doivent être pleinement garantis", insiste l'eurodéputé Guy Verhofstadt, au nom du Parlement européen.
Concernant les Britanniques expatriés, les négociateurs n'ont par ailleurs pas décidé s'ils garderont leurs droits en déménageant dans un autre pays de l'UE.
Au Royaume-Uni, le texte précise que les droits seront incorporés dans la loi britannique et "prévaudront sur des législations incompatibles, à moins que le Parlement (britannique) abroge expressément cette loi à l'avenir".
Mais que se passerait-il dans ce dernier cas? Le document ne le précise pas. "Tout changement apporté par le Parlement britannique aux droits des citoyens sera très visible et ne pourra se faire que par l'abrogation expresse du traité", a commenté un membre de l'équipe de négociation européenne, Stefaan de Rynck.
- Casse-tête irlandais -
Les négociateurs ont fini par s'entendre vendredi sur "des principes politiques" concernant la frontière entre l'Irlande et la province britannique d'Irlande du Nord. Mais un casse-tête s'annonce pour réaliser la promesse britannique d'éviter un retour d'une frontière physique sur l'île.
Si cet engagement n'est pas atteint par la négociation de la future relation UE-Londres ou des "solutions spécifiques", l'accord stipule que Londres maintiendra un "alignement complet" avec les règles du marché unique et de l'union douanière sur lesquelles sont basées la coopération Nord-Sud et l'Accord de paix de 1998.
Le texte assure en même temps qu'il n'y aura pas de "nouvelles barrières réglementaires" entre l'Irlande du Nord "et le reste du Royaume-Uni", alors que Londres dit vouloir quitter le marché unique et l'union douanière.
"Une série d'engagements contradictoires ont été faits et un nouveau volet de négociation séparé sur l'Irlande est désormais ouvert", souligne Jonhatan Powell, ancien chef de cabinet de Tony Blair, dans une tribune dans le Financial Times.