A Riwai, dans le nord-est de l'Inde, les villageois traversent les rivières sur des ponts organiques, entrelacs de racines soigneusement entretenu depuis des centaines d'années, mais le train n'arrive pas encore à Shillong, proche capitale de l'Etat du Meghalaya.
Reliés au reste de l'Inde par un étroit goulot d'étranglement d'une vingtaine de kilomètres coincé entre le Népal et le Bangladesh, les huit Etats du nord-est de l'Inde manquent cruellement de trains, de routes et de ponts pour les déplacements de leurs 46 millions d'habitants.
L'expansion du réseau routier et ferroviaire, et la création de nouveaux points de passage frontaliers pour faciliter les échanges avec l'Asie du Sud-Est sont promis ou en cours, une perspective bienvenue pour les entrepreneurs de la région.
"Vendre un produit sur ce territoire n'est pas un défi mais si vous voulez le vendre en dehors, ça le devient vraiment, simplement à cause des difficultés et du coût du transport", explique Amit Jain depuis son bureau de Guwahati, la capitale de l'Assam.
L'Assam est connu mondialement pour ses plantations de thé mais son avenir dépend d'entreprises comme celles de Jain: cet entrepreneur dirige Aroma India, une société familiale spécialisée dans les huiles aromatiques à base de citronnelle et qui s'est diversifiée dans l'embouteillage avec succès, comme en témoigne un récent contrat signé avec un groupe international de spiritueux.
Amit Jain estime que l'approvisionnement local est un impératif si l'on veut éviter les déconvenues. "Quand on fait venir certaines matières du nord de l'Inde, ou bien la moindre pièce détachée en provenance de Delhi ou de Calcutta, cela peut prendre une semaine. Difficile, dans de telles conditions, de prendre des engagements (auprès de clients) en termes de délai..." souligne t-il.
- Première liaison ferroviaire -
Pratiquement coupé géographiquement du reste de l'Inde depuis la partition en 1947, le nord-est cultive ses spécificités culturelles et linguistiques, renforcées par son enclavement géographique.
"Les infrastructures dans le nord-est sont en mauvais état et les liaisons, en particulier routières, sont pauvres", abonde Saundarjya Borbora, économiste et président de l'Association économique du nord-est, un cercle de réflexion.
L'Etat du Meghalaya est apparu sur la carte ferroviaire il y a un an avec l'ouverture de la première ligne reliant deux petites villes de l'Etat à celui de l'Assam, limitrophe. Relier Shillong, capitale de l'Etat, n'est en revanche encore qu'un projet sur une carte.
"Les infrastructures sont le facteur le plus important pour développer le nord-est", a dit le Premier ministre Narendra Modi lors de l'inauguration de cette ligne, promettant d'accélérer le développement des infrastructures dans cette région longtemps oubliée des autorités.
Mais la nature ne se laisse pas facilement dompter dans ce paysage de collines au terrain accidenté et de forêt tropicale.
Elle représente un atout quand il s'agit de façonner ces ponts vivants soignés depuis plusieurs centaines d'années par les Khasis - rare communauté matrilinéaire - et qui enjambent harmonieusement les ruisseaux du Meghalaya.
La situation tourne en revanche au casse-tête quand il s'agit de creuser les 90 km de route qui relieront l'Etat du Mizoram à la frontière birmane.
Un millier d'ouvriers travaillent à cette construction avec l'aide de 154 engins de chantier, selon le quotidien Indian Express. Une fois que cette route, la NH502A, sera achevée, 9 millions de litres de diesel auront été engloutis, 3.100 arbres abattus et 18 millions de m3 de sol déplacés.
- Retard de formation -
Stratégiquement situé au carrefour de cinq pays - Népal, Bangladesh, Bhoutan, Birmanie et Chine - avec 5.000 km de frontières partagées, le nord-est ne profite pourtant pas de ce positionnement, explique Hasina Kharbhih, fondatrice d'une entreprise sociale basée dans le Meghalaya.
Après avoir fondé une ONG de lutte contre le trafic d'être humains - un problème très prégnant dans la région, Kharbhih a créé Impulse social enterprises (ISE), qui aide 30.000 artisans du nord-est à promouvoir leurs produits. Une initiative qu'elle veut étendre aux pays voisins.
A cause du manque d'infrastructures, "pour me rendre en Birmanie, je dois d'abord aller à Calcutta puis prendre un vol jusqu'à Bangkok et enfin Rangoon", explique-t-elle. Un circuit très compliqué qui défie toute logique.
"Il faut améliorer les liaisons routières pour faciliter le commerce et les liens entre les gens", ajoute-elle, en citant l'exemple des artisans que son entreprise soutient: "Nous agissons pour mettre en relation ces artisans avec leur marché, pour qu'ils sachent ce qui est faisable ou pas."
L'entrepreneure a créé des ateliers pour les former et les aider à rendre leurs produits plus attractifs et d'une qualité plus homogène car, souligne-t-elle, "le niveau de formation dans la région est encore loin d'atteindre les standards de l'Asie du Sud-Est".