Débusquées par les "Panama Papers", les sociétés offshore ne permettent pas seulement de discrètement placer des fonds dans des paradis fiscaux: elles offrent également un moyen sans pareil de contourner les sanctions économiques internationales.
"Elles sont conçues pour se cacher et peuvent donc aussi bien être utilisées pour contourner des embargos que pour la fraude fiscale ou le blanchiment d'argent", observe pour l'AFP Pascal Saint-Amans, chef de la division de lutte contre les paradis fiscaux à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Ces sociétés-écrans cultivent de fait le goût de la discrétion. En dissimulant le nom de leur réel bénéficiaire derrière des structures gigognes et des prête-noms, elles brouillent les pistes et mettent au défi les Etats de faire respecter leurs listes noires financières.
"Ce sont des structures anonymes donc personne ne sait si elles sont contrôlées par des gens ou des entreprises qui font l'objet de sanctions. C'est un vrai problème", assure à l'AFP Liz Confalone, de l'organisation Global Financial Integrity.
La question est particulièrement sensible aux Etats-Unis dont la force de frappe diplomatique repose notamment sur un arsenal de sanctions prohibant toute transaction financière avec des pays (Iran, Corée du Nord, Cuba...) et gelant les avoirs des individus ou d'entreprises qui y sont liés.
Plusieurs entreprises, dont le français BNP Paribas (PA:BNPP) en 2014, ont été lourdement pénalisées pour avoir violé ces embargos. Mais cela n'a pas dissuadé d'autres de tenter passer entre les mailles du filet en usant de l'opacité financière.
Selon la BBC, 33 particuliers et entreprises basés en Iran, au Zimbabwe ou en Corée du Nord et visés par les sanctions du Trésor américain se sont ainsi attachés les services du cabinet Mossack Fonseca au coeur des "Panama Papers".
- Paradoxe américain -
D'autres cas avaient déjà défrayé la chronique avant ce scandale.
Le géant chinois des équipements télécoms ZTE a mis en place un réseau de sociétés-écrans qui lui a permis de réexporter des composants américains vers l'Iran en violation de l'embargo imposé à Téhéran pour son programme nucléaire, selon les autorités américaines. Le groupe a été frappé de représailles commerciales début mars.
Plus spectaculaire, un système de sociétés-écrans passant par le paradis fiscal britannique de Jersey a pendant des années permis à une banque affiliée au gouvernement iranien et ciblée par des sanctions de détenir un gratte-ciel en plein coeur de Manhattan. Les autorités américaines ont ordonné la saisie de l'immeuble.
La compagnie maritime publique iranienne IRISL, frappée par des sanctions américaines en 2008, a utilisé un stratagème similaire pour continuer à opérer: elle a dispersé sa flotte dans un réseau de sociétés-écrans basées à Malte ou Hong Kong dont elle a secrètement gardé le contrôle, rapporte l'ouvrage "Global Shell (AS:RDSa) Games" paru en 2014.
Ces cas ne représentent toutefois que la partie émergée de l'iceberg. La traque des autorités se heurte souvent à la complexité des montages juridiques et à la facilité pour les fraudeurs de transférer des actifs d'un paradis fiscal à l'autre. "C'est le jeu du chat et de la souris", affirme à l'AFP Bryan Early, spécialiste des sanctions à l'Université d'Albany.
Les autorités américaines assurent ne pas baisser la garde. "Le gouvernement américain se concentre attentivement sur la recherche de possibles activités illégales incluant des violations des lois fiscales et des sanctions américaines", affirme une porte-parole du département du Trésor dans un courriel à l'AFP.
Le président Barack Obama est lui-même monté au créneau pour clamer que l'opacité financière n'amoindrissait pas l'efficacité des sanctions américaines. "L'Iran n'aurait pas conclu d'accord sur son programme nucléaire sans de fortes sanctions", a-t-il affirmé mardi.
Les Etats-Unis se trouvent toutefois dans une situation paradoxale.
Si le pays défend la transparence financière, plusieurs Etats en son sein, dont le Delaware, permettent à un ressortissant étranger de créer une société en dissimulant là encore l'identité de son réel bénéficiaire.
Très critiquée, cette opacité est telle que, selon M. Saint-Amans, des étrangers pourraient réussir à enfreindre des sanctions américaines en utilisant une société immatriculée aux Etats-Unis. "C'est le paradoxe du pays", résume-t-il.
Tous les ans depuis près d'une décennie, des élus du Congrès déposent une proposition de loi pour rendre obligatoire l'enregistrement du nom du bénéficiaire d'une entreprise. Mais ces initiatives sont restées lettre morte.