par Michelle Martin
BERLIN (Reuters) - La décision de la Banque centrale européenne de racheter des prêts titrisés pour relancer le crédit dans la zone euro passe mal en Allemagne auprès de la Bundesbank et de certains alliés conservateurs de la chancelière Angela Merkel.
Jeudi, au terme de sa réunion monétaire d'octobre, la BCE a annoncé son intention de racheter des prêts adossés à des actifs (asset-backed securities, ou ABS) dès ce dernier trimestre 2014, y compris en provenance de la Grèce et de Chypre, les deux pays de la zone euro dont la dette souveraine est notée en catégorie spéculative ("junk").
Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, a sonné la charge dimanche contre le risque d'acheter des "prêts titrisés de basse qualité" à des prix élevés dans le cadre de ce plan.
Les banques créent les ABS en mélangeant des prêts de diverses origines -prêts immobiliers et d'entreprises, crédits automobiles ou à la consommation- et en revendant ces produits à des assureurs, fonds de pension et, donc, à la BCE désormais.
"Les risques de crédit pris par les banques privées vont être transférés à la banque centrale et donc au contribuable sans qu'ils n'aient rien en retour", déplore le banquier central allemand -membre du conseil des gouverneurs de la BCE- dans les colonnes du magazine Focus.
"Cela va à l'encontre du principe de responsabilité qui est fondamental dans l'économie de marché: celui qui tire un bénéfice de quelque chose doit en assumer la perte s'il y a un développement négatif."
La crise financière mondiale a montré combien il était dangereux d'abandonner de principe, ajoute Jens Weidmann.
Le patron de la Buba met aussi en garde contre la dépréciation de l'euro: "Une politique qui cherche à affaiblir délibérément la monnaie peut aussi provoquer des contre-réactions. Au bout du compte, il n'y a que des perdants avec une dévaluation compétitive."
Même si la BCE dit ne pas avoir d'objectif en la matière, l'euro est tiré à la baisse par la divergence des politiques monétaires des deux côtés de l'Atlantique, la BCE devant maintenir une politique accommodante quand la Réserve fédérale normalise la sienne.
"RISQUES INCALCULABLES"
Egalement interrogé par Focus, Jürgen Stark, ancien chef économiste de la BCE, voit dans les mesures non conventionnelles annoncées par Mario Draghi un "acte de désespoir."
Pour ce "faucon" allemand qui avait démissionné du directoire de la BCE en 2011 par désaccord avec la stratégie, la banque centrale cède à la pression de la France et de l'Italie et aux anticipations des marchés plutôt que de faire preuve d'autorité.
Le fait que la BCE cède à Paris et Rome sur l'affaiblissement de l'euro "montre à quel point elle se fourvoie", dit Jürgen Stark en ajoutant: "Il n'y a plus de tabous maintenant."
La BCE, accuse-t-il encore, prendrait d'"incalculables risques" pour son bilan avec le plan de rachat d'ABS et les contribuables de la zone euro seraient redevables en cas de pertes.
"Cela pourrait avoir des effets redistributifs considérables entre Etats membres. La BCE n'a aucune légitimité démocratique pour cela", affirme-t-il.
Deux politiciens proches d'Angela Merkel ont également critiqué les nouvelles mesures de la BCE.
Hans Michelbach, l'un des responsables de la CSU, l'aile bavaroise de la CDU de la chancelière, a accusé Mario Draghi d'être en train de transformer la BCE en une "banque pourrie" ("junk bank") avec ces rachats de dette spéculative.
La BCE est désormais disposée à acheter le genre de "dette opaque" qui est en grande partie à l'origine de la crise financière mondiale de 2007/2008, a-t-il dit à Reuters samedi.
Norbert Barthle, expert budgétaire de l'Union chrétienne démocrate (CDU), dit quant à lui craindre qu'on fasse appel au contribuable allemand pour payer les pots cassés.
"Redistribuer les risques de cette façon ne fait pas partie des missions de la banque centrale", déclare-t-il au magazine Focus.
(Avec Gernot Heller, Véronique Tison pour le service français)