par John O'Donnell
FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé contre toute attente mercredi soir qu'elle n'accepterait plus les obligations d'Etat grecques en échange de ses opérations de financement, une décision qui reporte sur la banque centrale d'Athènes le poids du financement des banques grecques et isole la Grèce à moins qu'elle ne parvienne à un accord avec ses créanciers.
En obligeant la banque grecque à fournir des dizaines de milliards d'euros à ses banques en liquidités d'urgence dans les semaines à venir, la BCE réplique ainsi à ce que beaucoup voient à Francfort comme un abandon par le gouvernement grec du plan d'aide mis en place en échange de réformes structurelles.
Ce durcissement intervient quelques heures après que le ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, à l'issue d'une rencontre avec le président de la BCE, Mario Draghi, s'était déclaré convaincu que la BCE ferait "tout ce qu'il faut" pour soutenir les Etats membres le temps des négociations.
L'initiative de la BCE, qui a requis le soutien d'une majorité des gouverneurs des banques centrales de la zone euro, montre au contraire que la consternation domine largement, non seulement à Francfort mais à travers l'ensemble des 19 membres du bloc européen.
Cette mesure, qui sera effective le 11 février, a été annoncé par la BCE après une réunion des gouverneurs à Francfort mercredi.
Elle signifie que les dizaines de milliards d'euros d'obligations d'Etat grecques, ainsi que d'obligations bancaires garanties par Athènes, ne pourront plus servir de collatéraux en échange de refinancement de ces banques par la BCE.
Ce sera désormais à la banque centrale grecque de financer les banques du pays via la fourniture de liquidités d'urgence (FLU/ELA), un financement dont elle portera le risque, isolant ainsi les difficultés de ces banques du reste de la zone euro.
UNE DÉCISION QUI RÉVEILLE L'INQUIÉTUDE
Si la banque centrale grecque se trouvait de ce fait en difficultés, ce serait à l'Etat grec, déjà lourdement endetté, d'intervenir.
Le dollar a progressé contre l'euro, affichant sa plus forte hausse en près de deux semaines, après la décision qui réveille les inquiétudes sur l'avenir de la Grèce en zone euro. L'euro a perdu 1,15% face au dollar, à 1,1347, après être tombé à 1,1315.
"Cela rend les choses plus intenses en ce qui concerne la Grèce", dit Camilla Sutton, stratégiste chez Scotiabank à Toronto. Même si le pays est encore loin de sortir de la zone euro, l'annonce de la BCE en accroît le risque, estime-t-elle.
Cette mesure inattendue intervient alors que le nouveau gouvernement grec issu du parti de la gauche radicale Syriza vient de faire appel à la BCE pour assurer le financement de ses banques pendant qu'il négocie un allègement de sa dette avec ses partenaires européens.
En rejetant cet appel, la BCE ajoute aux difficultés de la Grèce à qui l'Allemagne refuse tout report des mesures d'austérité convenues dans le cadre de son plan d'aide.
Cette décision représente un revers pour Yanis Varoufakis, le nouveau ministre grec des Finances, qui venait d'appeler à des négociations rapides avec ses créanciers internationaux en vue d'un nouveau programme de réformes, après l'abandon du précédent plan de sauvetage.
Elle place le pays dans une position difficile. Trois des quatre principales banques grecques ont commencé à puiser dans le fonds d'urgence de la Banque de Grèce, l'importante des retraits de leurs clients ayant réduit leur niveau de liquidités, ont dit à Reuters deux sources proches du dossier.
Ayant promis à ses électeurs de mettre fin à cinq années d'austérité, le Premier ministre grec Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis font le tour des capitales européennes, en quête d'un soutien pour un nouvelle accord sur la dette du pays.
L'ALLEMAGNE RÉSISTE
Mais selon un document élaboré par Berlin que s'est procuré Reuters, l'Allemagne veut qu'Athènes renonce à certaines de ses promesses de campagne pour renouer avec la politique économique sur laquelle le précédent gouvernement s'était engagé auprès des créanciers internationaux.
Parmi ces promesses figurent entre autres le relèvement du salaire minimum, l'arrêt de certaines privatisations impopulaires, la réintégration de fonctionnaires licenciés ou le rétablissement de la prime de Noël pour les retraités les plus pauvres.
"L'Eurogroupe a besoin d'un engagement clair et rapide de la Grèce à assurer la mise en oeuvre intégrale des réformes clés nécessaires pour maintenir le programme en place", explique le document allemand.
Les nouveaux dirigeants grecs ont reçu un accueil peu chaleureux, même de la part des gouvernements de gauche tels que la France et l'Italie, dont Athènes espérait le soutien.
François Hollande, qui a reçu Tsipras mercredi à l'Elysée, a souligné que le respect des règles européennes et des engagements pris s'imposait à tous, y compris à la Grèce.
Après avoir rencontré le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, Tsipras a dit que la Grèce respectait les règles de l'UE et trouverait une solution à ses problèmes économiques dans le cadre de cette réglementation.
Sans le soutien de la BCE et de ses créanciers, la Grèce pourrait rapidement replonger dans une crise financière grave susceptible de la contraindre à sortir de la zone euro.
Athènes n'a pour l'instant aucun besoin de financement urgent - la première émission de bons du Trésor depuis les élections s'est déroulé sans difficulté mercredi - mais quelque 10 milliards d'euros de dettes arriveront à échéance cet été.
La BCE souhaite qu'Athènes ait conclu un accord provisoire avec l'Eurogroupe avant la prochaine réunion des ministres des Finances de la zone euro, prévue le 16 février, a déclaré une source au sein de la banque centrale européenne.
Varoufakis a jusqu'à présent déclaré que son pays n'entendait pas prolonger le programme d'aide qui expire le 28 février. Il a toutefois évoqué la possibilité d'échanger les obligations d'Etat détenues par la BCE et les pays de la zone euro contre des titres dont les intérêts seraient indexés sur la croissance économique ou contre des obligations perpétuelles.
Cette hypothèse a été bien accueillie par les marchés financiers mercredi, qui craignent surtout un effacement même partiel des créances, mais a suscité plus de scepticisme auprès des responsables de la zone euro.
(avec Jan Strupczewski à Bruxelles, Paul Taylor à Londres et Elizabeth Pineau et Ingrid Melander à Paris; Marc Angrand, Guy Kerivel et Juliette Rouillon pour le service français, édité par Henri-Pierre André)