par Jan Strupczewski
BRUXELLES (Reuters) - L'accord à l'arraché entre Athènes et ses créanciers en vue d'un troisième plan d'aide est l'occasion de faire les comptes de part et d'autre après des mois de négociations qui ont menacé de mettre la Grèce au ban de la zone euro.
Quand les dirigeants grecs ont amorcé l'année dernière un changement de politique destiné à les affranchir de la tutelle des créanciers internationaux, ils espéraient en tirer les bénéfices aussi bien sur le plan économique que politique.
Neuf mois plus tard, la chute de la production et de la valeur des actifs ont fait exploser les coûts pour l'économie du pays à plus de 60 milliards d'euros selon une première estimation, soit le tiers du produit intérieur brut, tandis que les partenaires européens de la Grèce et le Fonds monétaire international (FMI) pourraient être contraints de prêter à Athènes trois fois plus qu'ils n'envisageaient de le faire pour le troisième plan de renflouement du pays.
Alors que des négociations difficiles doivent commencer et que le contrôle des capitaux décrété par Athènes est toujours en place, de nouveaux faux-pas et l'incertitude persistante pourraient encore faire grimper l'addition tout au long de l'été.
"La position de négociation de la Grèce n'a pas été un grand succès", a résumé Christoph Weil, économiste à la Commerzbank (XETRA:CBKG). "Il est manifeste que l'économie grecque est dans une profonde récession. Pour les deux premiers trimestres de cette année, c'est clairement le résultat des politiques du gouvernement grec."
Au cours du second semestre de l'année dernière, le Premier ministre de centre-droit Antonis Samaras, espérant être réélu, avait commencé à étudier les moyens de désserrer l'étau de la surveillance étroite de l'Union européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du FMI, cette troïka des créanciers internationaux si décriée par une large majorité de Grecs.
La croissance repartait et Athènes était parvenue à lever des fonds sur les marchés. Samaras espérait sortir du plan de renflouement de la zone euro en février 2015 et s'affranchir du programme d'aide du FMI grâce à une ligne de financement de secours d'un an de 20 à 30 milliards d'euros négociée avec la zone euro.
Depuis le pari perdu des élections anticipées convoquées par Samaras et l'arrivée au pouvoir en janvier du chef de file de la gauche radicale Alexis Tsipras, élu sur la promesse de mettre un terme à l'austérité, la production se contracte à un rythme accéléré.
Les créanciers du pays s'attendent à ce qu'Athènes, qui a fait défaut le mois dernier sur sa dette vis-à-vis du FMI, ne puisse potentiellement pas se présenter sur les marchés de capitaux internationaux pendant les trois prochaines années et nécessite pourtant 80 à 100 milliards d'euros d'argent frais.
La somme de la perte du PIB potentiel, de la baisse de la capitalisation boursière et des besoins de fonds propres additionnels des banques grecques atteint 63 milliards d'euros, sur la base des prévisions et des données publiées par les créanciers et d'autres sources.
"LE MINISTRE DES FINANCES LE PLUS COÛTEUX DE TOUS LES TEMPS"
Ce montant, calculé par Reuters, ne prend pas en compte la perte de valeur sur d'autres actifs grecs ni les dommages moins tangibles ou plus hypothétiques liés par exemple à la perte de confiance des investisseurs et des prêteurs et aux doutes accrus sur la possibilité pour la Grèce de demeurer au sein de la zone euro.
"Le fait que le Grexit ait été si manifestement une option dans le débat va continuer de rendre l'investissement étranger difficile", a dit Mark Wall, économiste pour la zone euro de Deutsche Bank.
Les dernières analyses sur la situation financière de la Grèce publiées par le FMI et la Commission européenne ont souligné sa rapide détérioration depuis la fin 2014, en particulier au cours de ce mois, après l'instauration par Athènes d'un contrôle des capitaux destiné à prévenir une panique bancaire après le rejet d'un accord de financement en contrepartie de réformes.
La Commission européenne anticipait début novembre une croissance de l'économie grecque de 2,9% cette année et de 3,7% en 2016, après 1% en 2014.
Les créanciers s'attendent désormais à une contraction du PIB de 4% cette année, même en faisant l'hypothèse de la mise en oeuvre sans heurts d'un nouveau plan d'aide.
Le déficit de croissance représente l'équivalent de 12,6 milliards d'euros en 2015 et de 9,8 milliards supplémentaires en 2016, selon les estimations d'économistes.
"Varoufakis a été le ministre des Finances le plus coûteux de l'histoire", a commenté un haut fonctionnaire de l'Union européenne, illustrant l'animosité des créanciers à l'encontre de cet économiste, qui se présentait lui-même comme un "marxiste erratique" et dont le Premier ministre grec s'est résolu à se séparer il y a à peine plus d'une semaine.
La capitalisation de la Bourse d'Athènes atteignait 64 milliards d'euros en décembre quand Samaras a convoqué les élections législatives qu'il a perdu. Le 25 juin, juste avant l'instauration du contrôle des capitaux, elle avait perdu un quart de sa valeur.
Les banques grecques ont aussi beaucoup souffert. Elles étaient parvenues à lever 8 milliards d'euros sur les marchés de capitaux l'année dernière pour consolider leurs bilans. Les créanciers estiment qu'elles pourraient désormais avoir besoin de 25 milliards d'euros de fonds propres additionnels alors qu'elles ne sont maintenues à flot que grâce aux liquidités d'urgence consenties par la BCE.
La Grèce était parvenue à placer un emprunt à cinq ans à un taux de 4,95% en avril 2014, souscrit à hauteur de 93% par des investisseurs internationaux. Elle n'a pas accès aux marchés des capitaux internationaux et le rendement de cet emprunt arrivant à échéance en 2019 atteint 19,7%.
"La dette publique grecque est devenue tout à fait insoutenable" estime le FMI dans son analyse sur la situation financière du pays.
"Si l'on ajoute toutes les aides que la zone euro a apportées à la Grèce, cela fait près de 500 milliards d'euros transférés à une économie de 180 milliards (d'euros de PIB annuel). C'est un énorme transfert de richesse", a dit le haut fonctionnaire européen faisant écho à la frustration éprouvée par nombre de gouvernements créanciers du pays, parfois plus pauvres que la Grèce elle-même.
L'importance des sommes en jeu a donné des armes à tous ceux qui pensaient qu'il serait sans doute moins coûteux pour l'Europe de pousser la Grèce en dehors de la zone euro.
Mais les principaux arguments dans ce débat sont l'incertitude que la situation de la Grèce engendre à l'échelle du continent ainsi que la perspective d'avoir un jour à effacer l'essentiel de sa dette.
(Marc Joanny pour le service français, édité par Wilfrid Exbrayat)