De Panama à Paris, des paradis fiscaux aux tribunaux, de Nina Ricci à "Birdie": certains avocats jouent les premiers rôles dans les scandales de fraude fiscale, mais la profession refuse d'être stigmatisée dans son ensemble.
A l'origine des "Panama papers", masse de documents décryptée par un consortium de journalistes qui met en évidence un système sophistiqué de sociétés-écran, il y a un cabinet d'avocats panaméen, Mossack Fontesa.
Sur les bancs des procès de fraude fiscale de l'ancien ministre Jérôme Cahuzac, qui utilisait le surnom "Birdie" pour accéder à son argent caché, et du marchand d'art Guy Wildenstein, il y a trois avocats ou ex-avocats, français ou suisses.
Il y a un an environ, l'avocat de l'héritière de la maison de couture Nina Ricci était condamné, outre un an de prison avec sursis, à payer "solidairement" avec sa cliente, condamnée à un million d'euros d'amende pour fraude fiscale. Tous deux ont fait appel.
S'il trouve "normal" de condamner un avocat qui viole sciemment une législation, Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux (CNB), ne veut pas d'un mauvais procès contre toute une profession.
"Les Etats ne parviennent pas à coordonner leurs politiques fiscales alors ils stigmatisent les avocats" qui, selon lui, "mettent en musique les législations à leur disposition pour servir au mieux les intérêts de leurs clients".
"Le problème est cet amalgame qui est fait entre la fraude fiscale, qui est illégale, et l'optimisation fiscale, qui ne l'est pas. Le Conseil constitutionnel lui-même l'a rappelé", assure Stéphane Austry, du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre. Cet énarque passé par le ministère des Finances est président de l'Institut des Avocats Conseils Fiscaux.
Les Sages avaient en décembre 2013 censuré un article de loi qui créait une obligation, pour les professionnels du droit et de la finance, de signaler les "schémas d'optimisation fiscale", ces montages qui exploitent les niches et les différences entre législations nationales, pour réduire au maximum les impôts.
- "Organisation de l'anonymat" -
Des chantiers ont été lancés au niveau mondial pour freiner la concurrence fiscale déloyale qui fait rage y compris à l'intérieur de l'Union européenne. L'UE, censée être une communauté économique, n'a par exemple toujours pas dressé de liste noire unique, commune à tous ses membres, des paradis fiscaux.
"Il y a un degré à partir duquel l'agilité devient coupable et les professionnels le savent", souligne Jacques Terray, ancien avocat d'affaires, vice-président de l'ONG de lutte contre la corruption Transparency International France.
"Pour ce qui touche au Panama, on n'est plus du tout dans l'optimisation, on est dans l'organisation de l'anonymat pour cacher le client", précise l'ancien avocat fiscaliste Michel Taly.
Aujourd'hui consultant pour le cabinet Arsene Taxand, il a été haut fonctionnaire au ministère des Finances, un CV commun à beaucoup d'avocats fiscalistes de haut vol.
"Il y a plusieurs degrés, entre ne pas savoir (si l'on s'engage dans une manoeuvre illégale), ne pas chercher à savoir, savoir et passer outre", souligne-t-il. "L'avocat qui accepte de devenir lui-même le gérant d'une société +offshore+, il n'est plus dans la zone grise, il est dans la zone noire".
Reste que pour William Bourdon, avocat et président-fondateur de l'ONG de lutte contre la criminalité économique Sherpa, "il ne suffira pas de prendre une posture outragée et d'opposer les grands principes essentiels, tels que la confidentialité ou le secret professionnel, pour faire l'économie d'un questionnement sur la place que certains cabinets d'avocats, en Europe et ailleurs, ont prise dans cet engineering".
Les avocats ne sont pas les seuls autour desquels l'étau se resserre. Tracfin, cellule anti-blanchiment du ministère des Finances, a déploré récemment le peu d'enthousiasme des professionnels du droit et de l'immobilier à lui faire parvenir des "déclarations de soupçon".
En 2014, Tracfin avait reçu au total 38.000 signalements, censés aider à dépister des opérations douteuses. Les notaires par exemple n'en font qu'un millier par an.
Tracfin peut désormais demander à ce qu'on lui communique des pièces. Les avocats bénéficient d'une dérogation: la cellule anti-blanchiment doit d'abord envoyer sa demande au bâtonnier de l’ordre auprès duquel l’avocat est inscrit.