Il doit symboliser les ambitions retrouvées de l'industrie spatiale russe et faire oublier ses déboires en série, mais le cosmodrome de Vostotchny, en construction pour remplacer le vénérable Baïkonour, est englué dans les scandales de corruption.
Considéré comme le "plus grand chantier du pays" par les médias russes avec un budget estimé à 300 milliards de roubles (5,3 milliards d'euros), ce centre spatial a commencé à sortir de terre en 2012 dans la région de l'Amour, dans l'Extrême-orient russe.
Depuis, 10.000 ouvriers ont construit 115 km de routes dans cette région immense mais peu peuplée, 125 km de voies ferrées et une ville capable d'héberger 25.000 habitants. Mais dans le même temps, la justice a ouvert des dizaines d'enquêtes pour détournement de fonds, contraignant les autorités à augmenter le budget et à envoyer des étudiants à la rescousse pour finir cette construction hautement stratégique.
"Il n'y a eu aucun appel d'offres et (l'entreprise choisie) Spetstroï Rossii n'a pas été capable d'organiser le chantier. Les salaires étaient bas et les conditions de travail désastreuses", critique l'analyste Sergueï Gorbounov, ancien porte-parole de l'agence spatiale russe Roskosmos.
Le nouveau cosmodrome est au coeur des ambitions affichées par la Russie pour renouer avec la grandeur du programme spatiale soviétique, réduit en miettes par plus de deux décennies d'appauvrissement et récemment une série d'échecs humiliants.
Vostotchny a pour principal avantage... de se trouver en Russie. Et de permettre donc à Moscou de ne plus dépendre du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, loué au prix fort depuis la chute de l'URSS, en particulier pour les vols habités à destination de la Station spatiale internationale.
Pour faciliter les mises sur orbite, les Russes ont choisi un site plus proche de l'équateur que la base qui existe déjà en Russie mais très au nord, Plessetsk. D'une surface de seulement 700 km2 --dix fois moins que Baïkonour-- le nouveau cosmodrome doit aussi se révéler plus compétitif, un avantage primordial alors que le vice-Premier ministre russe, Dmitri Rogozine, a prévenu que la Russie risquait de perdre sa place de numéro un faute d'une "baisse de ses coûts de production".
Les premiers lancements sont attendus en décembre 2015 avec pour objectif un premier décollage de vol habité en 2018. Un pas de tir spécialement renforcé est prévu pour la nouvelle fusée Angara, actuellement testée en vue de remplacer les vieillissants lanceurs Proton que la Russie voudrait oublier au plus vite après deux échecs en un an.
- Etudiants -
Pour le grand public, les problèmes de Vostotchny ont éclaté le 16 avril, lors de la séance annuelle de questions-réponses de Vladimir Poutine avec ses concitoyens à la télévision. Abandonnés à eux-mêmes après la faillite de leur entreprise, pas payés depuis quatre mois, des ouvriers du chantier ont interpellé le président russe.
"Rien que cette année, nous avons alloué 40 milliards de roubles (720 millions d'euros) pour le cosmodrome. Pourquoi les ressources ne vont pas jusqu'aux sous-traitants? Pourquoi les salaires ne sont pas payés? Nous allons trouver mais continuez votre travail, c'est le plus important pour la Russie", a réagi Vladimir Poutine.
Dans la foulée, les autorités ont annoncé le déblocage d'une aide d'urgence destinée à régler les arriérés de salaire. Et le 18 mai, l'ancien chef de l'entreprise chargé du chantier a été placé en détention, accusé d'avoir détourné 288 millions de roubles (5 millions d'euros).
Courant mai, 130 étudiants sont arrivés sur le chantier et seront rejoints par 1.000 autres, qui y passeront leurs vacances d'été. Car pour la Russie, l'essentiel est désormais d'être à l'heure pour l'inauguration. "Nous avons tout pour être fiers de ce cosmodrome!", assure à l'AFP Olga Zaïtchenko, qui dirige un syndicat d'ouvriers du cosmodrome créé au début du mois. "Nous travaillons 24 heures sur 24!"
Selon l'agence de presse russe Interfax, Spetstroï Rossii, chargé de construire le cosmodrome, a pourtant demandé 20 milliards de roubles supplémentaires (360 millions d'euros) pour terminer la construction dans les délais impartis.
"Beaucoup d'argent s'est volatilisé. Il en va ainsi de toute commande publique mais après la reprise en main par le pouvoir, il n'y aura plus de problème", veut croire Igor Marinine, rédacteur en chef de la revue spécialisée Novosti Kosmonavtiki. "La livraison du cosmodrome en décembre me parait réaliste mais même après cette date, il y aura encore beaucoup à faire".