par Jonathan Spicer
NEW YORK (Reuters) - Les responsables des opérations de marché de la Réserve fédérale américaine restent dans le doute sur leur capacité à traduire dans les faits la décision attendue d'une hausse des taux directeurs, malgré deux années d'intenses consultations avec les professionnels des marchés et de simulations quotidiennes.
La Banque centrale américaine devrait relever mercredi prochain d'un quart de point son objectif pour le taux des fonds fédéraux, après l'avoir maintenu proche de zéro pendant sept ans.
Ce n'est que le lendemain matin que son équipe en charge des opérations de marché saura si le dispositif d'intervention prévu dans cette perspective, mais à peine testé dans la réalité, fonctionne et permet de faire décoller les taux.
Le pire des scénarios pour la Fed serait que les taux de marché ne bougent pas d'un iota ou qu'ils remontent dans des proportions bien moindres que souhaité.
Les spécialistes de la banque centrale comme les intervenants de marché estiment que le dispositif d'intervention prévu devrait permettre de l'éviter.
La tâche sera beaucoup plus ardue qu'avant la crise financière de 2008, quand la Fed pouvait s'assurer que ses objectifs étaient atteints en traitant avec 22 banques correspondantes (primary dealers) et en contrôlant par ce biais la liquidité sur le marché monétaire.
Après des années d'assouplissement quantitatif et de taux zéro, les banques disposent aujourd'hui de quelque 2.600 milliards de dollars (2.375 milliards d'euros) de réserves excédentaires et la Fed ne peut guider les taux de marché vers son objectif qu'en essayant d'éponger ces excédents.
ÉVITER DE SUSCITER LE DOUTE
Elle devra le faire en offrant aux banques de rémunérer les réserves excédentaires qu'elles détiennent. La Fed prévoit aussi de permettre à 130 fonds monétaires de placer leurs liquidités auprès d'elle en les rémunérant au travers d'un marché de prise en pension inverse au jour le jour.
Une petite équipe de spécialistes de la Fed sera en charge de la mise en oeuvre de ce dispositif et veillera à éviter d'éventuelles perturbations depuis la "salle des opérations" de la Fed de New York, à quelques encablures de Wall Street.
Si les taux du marché monétaire ne bougent guère au lendemain de la décision de relèvement de la Fed, son comité de politique monétaire pourrait décider d'augmenter les opérations de prises en pension inverses ou de relever le taux payé sur les réserves. Si le marché est juste volatil, les responsables monétaires lui donneront sans doute quelques jours pour se stabiliser.
Un relèvement chaotique soulèverait toutefois des doutes sur la capacité de la Fed à contrôler la partie courte de la courbe des taux qui permet aux banques centrales d'influer sur l'ensemble des coûts de financement dans l'économie.
MOINDRE MAÎTRISE
"La Fed n'a plus autant de maîtrise qu'elle n'en avait", a dit Michael Cloherty, responsable de la stratégie sur les taux pour les Etats-Unis de la Royal Bank of Canada.
Les responsables de la Fed se sont dits confiants dans le dispositif d'intervention prévu mais la Fed de New York a prévenu que le taux des fonds fédéraux pourrait décaler à l'intérieur de la nouvelle fourchette cible de 0,25% à 0,50%. Les taux pourraient même repasser en dessous du nouveau plancher en fin de mois et en fin de trimestre, des périodes durant lesquelles la demande pour les actifs les plus sûrs augmente.
L'incertitude est par ailleurs notable quant au comportement qu'adopteront de grandes sociétés de gestion comme Blackrock ou Fidelity ainsi que les treize agences gouvernementales comme Fannie Mae et Freddie Mac qui ont accès au programme de prise en pension inverse au jour le jour de la Fed à un taux correspondant au bas de la fourchette cible des fonds fédéraux.
S'ils manifestent peu d'intérêt, les taux pourraient rester en dessous de l'objectif, alors que s'ils en montrent trop, le marché pourrait se retrouver à court de liquidités.
Pour éviter que le programme ne soit rapidement dépassé, les intervenants de marché s'attendent à ce que la Fed en relève le plafond actuel, fixé à 300 milliards de dollars, pour le porter à 750 milliards, selon la majorité d'entre eux. Pour ne prendre aucun risque, la Fed pourrait même porter le plafond à 1.000 milliards de dollars voire le supprimer purement et simplement, ont dit certains de ses représentants et des intervenants de marché.
Une mesure aussi radicale réduirait certainement la volatilité sur le marché monétaire mais plus l'ampleur des opérations sera importante moins il sera facile de revenir en arrière pour un dispositif pourtant destiné à rester temporaire.
(Marc Joanny pour le service français, édité par Marc Angrand)