La ministre de l'Economie Christine Lagarde est menacée d'une enquête pour abus d'autorité dans le dossier de l'arbitrage rendu en faveur de Bernard Tapie sur la vente litigieuse d'Adidas par le Crédit Lyonnais en 1993.
Dans une interview à paraître mercredi dans Le Figaro, la ministre réagit en estimant que "l'on essaie de (la) salir". "Il n'y a, à ma connaissance, aucun élément nouveau apporté au fond du dossier", ajoute-t-elle.
Le procureur général près la Cour de cassation Jean-Louis Nadal a demandé à la Cour de justice de la République (CJR) d'ouvrir une enquête après avoir "relevé de nombreux motifs de suspecter la régularité, voire la légalité du règlement arbitral litigieux pouvant caractériser le délit d'abus d'autorité", délit passible de cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende.
"C'est une étape normale de la procédure" qui "va permettre à Mme Lagarde de produire à nouveau toutes les informations en sa possession et de démontrer l'absence de fondement de ce dossier", a-t-on commenté dans l'entourage de la ministre.
Pour Bernard Tapie, "toutes ces gesticulations n'ont pas le pouvoir d'inverser le cours de la décision" et relèvent d'un "délire total".
Fin 2007, Christine Lagarde avait ordonné la désignation de trois juges-arbitres pour trancher le litige opposant depuis 1993 Bernard Tapie au Crédit Lyonnais dans le cadre de la vente d'Adidas. Avaient été désignés l'avocat Jean-Denis Bredin, le magistrat à la retraite Pierre Estoup et l'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud.
En juillet 2008, ce tribunal arbitral avait condamné le Consortium de réalisation (CDR, gérant le passif de la banque) à verser 240 millions d'euros de réparation à M. Tapie, auxquels s'ajoutaient une centaine de millions d'euros d'intérêts et 45 millions d'euros pour préjudice moral.
En mars, le président PS de la commission des Finances Jérôme Cahuzac avait avancé, in fine, "une estimation de l'enrichissement supplémentaire de Bernard Tapie de 200 à 220 millions d'euros".
Des députés socialistes avaient écrit à M. Nadal pour obtenir la saisine de la CJR. Ils dénonçaient le choix de la ministre de l'Economie de recourir à une justice privée plutôt que de s'en remettre à la justice traditionnelle.
A deux mois de la retraite et après avoir obtenu une enquête de la CJR sur l'ancien ministre du Budget Eric Woerth, M. Nadal a saisi mardi la commission des requêtes.
Celle-ci devra dire, probablement d'ici un mois, si elle ouvre ou non une enquête. Le cas échéant, le procureur général saisirait immédiatement la commission d'instruction de la CJR qui lancerait des investigations.
Le parquet général reproche à Christine Lagarde trois séries de faits. Tout d'abord, celui d'avoir recouru à un arbitrage alors qu'il s'agissait de deniers publics.
Le CDR était en effet chapeauté par l'EPFR, un établissement public administratif. Or un texte du Code civil prohibe le recours à l'arbitrage lorsque les intérêts de l'Etat sont en jeu.
Le parquet général s'interroge également sur les conditions d'évaluation des sommes accordées à Bernard Tapie, ainsi que sur l'impartialité des arbitres.
Enfin, la ministre pourrait avoir à expliquer pourquoi elle a refusé d'exercer un recours contre la sentence arbitrale, alors que plusieurs spécialistes l'y encourageaient.
Selon le parquet général, une telle procédure pourrait entacher de nullité la sentence de juillet 2008.
L'arbitrage Tapie est au coeur de deux autres procédures. D'une part, le Conseil d'Etat a accepté d'examiner un recours du député NC Charles de Courson. D'autre part, deux hauts fonctionnaires ayant traité ce dossier sont menacés de poursuites par la Cour de discipline budgétaire et financière.