Le projet de "brevet européen", qui semblait enfin connaître une percée après plus de dix ans de tractations entre les pays de l'UE, a rencontré un nouvel obstacle mardi avec un avis négatif de la justice concernant le règlement des litiges.
Aujourd'hui, un brevet doit être validé pays par pays en Europe, avec à chaque fois des frais importants, rédhibitoires pour beaucoup d'inventeurs et de petites entreprises: jusqu'à 20.000 euros, dont 14.000 de traductions, pour protéger une invention dans seulement la moitié des pays de l'UE, quand aux Etats-Unis environ 1.850 euros suffisent.
Le brevet européen, proposé par la Commission en 2000, est censé simplifier les choses en étant reconnu automatiquement dans tous les pays et en réduisant significativement le nombre de traductions nécessaires.
Un des piliers du futur système devait être la création d'une juridiction européenne spécifique, en dehors du cadre institutionnel de l'Union, pour gérer les litiges sur des brevets dans l'UE ainsi que quelques pays tiers comme la Suisse.
Mais ce n'est "pas compatible avec le droit de l'UE" car cela "dénaturerait les compétences conférées aux institutions de l'Union et aux Etats membres", a tranché mardi la Cour européenne de justice de Luxembourg.
Cet avis négatif tombe d'autant plus mal qu'il intervient deux jours avant un pas décisif pour le deuxième pilier du système, la création du "brevet européen" proprement dit.
Vingt-cinq pays doivent en effet décider jeudi de se lancer dans une "coopération renforcée", une procédure de dernier recours introduite par le traité de Lisbonne, et permettant à un petit groupe de pays de l'UE d'aller de l'avant sur un dossier où un accord à 27 est impossible.
Cette procédure n'a jusqu'ici été utilisée qu'une seule fois, par 14 pays désireux de simplifier les procédures de divorce pour les couples binationaux.
Dans le cas du brevet, il s'agirait de passer outre le veto de l'Espagne et de l'Italie, qui jugent leurs langues nationales discriminées comparé à celles autour desquelles doit tourner le futur système: l'anglais, l'allemand et le français.
L'avis des juges de Luxembourg a été accueilli avec satisfaction mardi par Rome, qui se réserve la possibilité de les saisir à nouveau, cette fois sur la légalité de la procédure de coopération renforcée. Madrid envisage aussi un tel recours.
La Commission européenne et la Hongrie, qui assure la présidence tournante de l'UE, ont tenté pour leur part de relativiser la décision de Luxembourg, insistant sur l'importance de "conserver l'élan" des derniers mois.
Selon elles, le revers sur le système de règlement des litiges n'empêche pas de poursuivre le travail sur le dossier "distinct" du brevet européen proprement dit, qui présente déjà en lui-même "des avantages énormes".
Mais commencer à délivrer ces brevets sans système unifié de règlement des litiges "retirerait une grande partie de l'utilité du système", car cela obligerait à déposer en cas de conflit des recours devant toute une série de tribunaux nationaux, a souligné une source diplomatique.
Tant Bruxelles que Budapest ont aussi reconnu que l'examen détaillé de l'avis des juges de Luxembourg et la recherche de solutions prendraient beaucoup de temps. D'autant que ces solutions pourraient nécessiter l'unanimité des 27.
Officiellement, Bruxelles table toujours sur l'octroi des premiers brevets européens en 2014. Mais "je n'essayerais vraiment pas de donner une date précise pour que le système complet soit fonctionnel", a reconnu la source diplomatique.