par Chine Labbé
PARIS (Reuters) - Jérôme Cahuzac a déclaré jeudi avoir "la conviction" que ses banquiers suisses savaient qu'il ne déclarait pas ses avoirs en France, ajoutant qu'ils avaient été à "l'initiative" du montage qui a permis leur transfert vers Singapour.
Le directeur général de Reyl § Cie, François Reyl, assure quant à lui n'avoir joué qu'un rôle technique face à la demande de confidentialité formulée par l'ex-ministre, et qui n'avait aucune connotation fiscale à ses yeux.
La question de la paternité de ce montage est décisive : la banque Reyl et son directeur général sont en effet poursuivis pour blanchiment de fraude fiscale en ce qu'ils auraient "organisé" ce transfert, via des sociétés offshore à Panama et aux Seychelles, et ainsi participé "activement" à la dissimulation des avoirs du chirurgien de formation.
Le 20 mars 2009, Jérôme Cahuzac se présente, sans rendez-vous, à la banque genevoise, où son compte, d'abord ouvert auprès de l'UBS en 1993, a été transféré en 1998.
Il est là pour effectuer les "modifications nécessaires" au maintien de la plus grande confidentialité de son compte, après que son ex-gestionnaire de fortune, Hervé Dreyfus, parent du fondateur de Reyl § Cie, lui eut suggéré, affirme-t-il.
"J'ai demandé de m'assurer la plus grande discrétion et la plus grande confidentialité", explique Jérôme Cahuzac à la barre. "Pour le reste, c'est la banque Reyl qui me propose des solutions, ce sont eux qui prennent l'initiative."
Cette "proposition", qui l'enfonce un peu plus dans la clandestinité, Jérôme Cahuzac reconnaît toutefois l'avoir acceptée. "J'estime que je n'ai pas d'autre choix que cette fuite en avant", tente-t-il d'expliquer.
Au président, qui lui demande si ses banquiers savaient que les revenus déposés sur son compte n'étaient pas déclarés, Jérôme Cahuzac répond : "J'ai toujours eu la conviction qu'ils le savaient très bien, mais je ne leur ai jamais dit."
Pour François Reyl, banquier Franco-Suisse de 50 ans, les choses ne se sont pas tout à fait passées de cette manière.
LE "DILEMME DU BANQUIER SUISSE"
Quand Jérôme Cahuzac se présente, il lui "fait part d'un désir de confidentialité accrue et d'un éloignement de la Suisse", assure le banquier, qui assure ne pas se poser la question de l'évasion fiscale.
"Je lui propose un basculement en société tout en lui précisant qu'il sera toujours défini comme l'ayant droit économique", explique-t-il en ouvrant la possibilité d'un transfert dans une filiale à Singapour.
François Reyl a lié jeudi sa présence sur le banc des prévenus au "dilemme du banquier suisse", qui doit composer avec sa morale et une législation nationale qui ne punit pas pénalement l'évasion fiscale.
"C'est une tache impossible, pour le banquier suisse, de s'assurer en tous temps que tous ses clients à travers le monde" se conforment à la législation fiscale de leur pays, a-t-il dit.
L'échange automatique de données entre les administrations française et suisse, prévu pour 2018, y mettra un terme.
François Reyl, nommé directeur général en février 2009, a croisé le chemin de Jérôme Cahuzac à deux reprises, en 2003, lorsqu'il prend une instruction par téléphone, puis lors de cette entrevue de 2009. Il affirme qu'il ne le connaissait pas.
Jérôme Cahuzac n'était pourtant pas un client comme les autres, comme le souligne le président.
Dès octobre 2000, une note interne de la banque signale qu'il lui a été conseillé de ne plus faire de mouvements si sa situation politique était amenée à évoluer. A partir de 2004, il est considéré comme Personnalité exposée politiquement (PEP).
Fin 2009, la banque ne gérait les avoirs que de 11 PEP, dont Jérôme Cahuzac était le seul Français, a dit François Reyl.
Celui qui dit s'être trouvé pris dans une spirale, après avoir ouvert un premier compte pour financer l'activité du mouvement rocardien en 1992-1993, a invoqué jeudi des raisons personnelles au blanchiment d'une partie des sommes cachées.
En 2007, il pioche dans ce compte pour emmener sa femme aux Seychelles et tenter de la "reconquérir", après le "naufrage de son couple". A cette époque, "la priorité pour moi est de restaurer ma vie familiale", dit-il au bord des larmes.
(Edité par Yves Clarisse)