Des perquisitions visant notamment un avocat parisien et un ancien président de tribunal de commerce ont été menées le 21 octobre à la suite d'une plainte pour "escroquerie" de Total, dans le cadre d'un arbitrage contesté autour de contrats pétroliers en Russie.
L'affaire n'est pas simple mais elle est loin d'être anecdotique : le groupe français se voit réclamer quelque 20 milliards de dollars par les plaignants russes --la société Interneft et deux régions de Russie-- qui estiment avoir été lésés par l'abandon d'un contrat d'exploitation pétrolier signé en 1992 avec une ancienne filiale de Total.
Le groupe français se dit aujourd'hui victime d'une entourloupe procédurale. En 2009, Interneft et les deux régions russes ont obtenu que leur litige soit réglé devant un tribunal arbitral, une juridiction composée de personnes choisies par les parties et qui permet d'éviter les tribunaux étatiques.
Cette solution a été notamment utilisée, et vivement critiquée, pour régler le litige entre le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie.
Mais en l'espèce, Total assure ne pas avoir eu son mot à dire dans le processus et estime que la constitution de ce tribunal arbitral résulte d'une "escroquerie en bande organisée".
Débouté au civil, le groupe a porté plainte en mai à Nanterre pour dénoncer "un simulacre d'arbitrage qui masque des agissements frauduleux", a-t-il réagi auprès de l'AFP.
"Cet arbitrage est dénué de tout fondement, en fait comme en droit. Il porte sur un contrat caduc depuis 1995" et déjà reconnu comme tel par "deux juges français", a affirmé le groupe.
Saisi, le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire et mené vendredi plusieurs perquisitions visant notamment trois acteurs-clés du dossier, selon plusieurs sources concordantes. "Plusieurs documents ont été saisis", a indiqué l'une d'elles.
Les enquêteurs ont ciblé deux des arbitres désignés dans ce dossier : Jean-Pierre Mattei, ancien président du tribunal de commerce de Paris et expert en arbitrage, et Laï Kamara, un administrateur de biens, ancien conseiller de Maurice Papon au ministère du Budget à la fin des années 70.
"Je ne peux ni confirmer ni infirmer cette perquisition. En tant que juge international, je suis tenu au secret", a déclaré à l'AFP M. Kamara, désigné comme arbitre par la partie russe.
Ni M. Mattei ni son avocat n'ont pu être joints par l'AFP.
Une perquisition a également été menée chez Me Olivier Pardo. Ancien avocat de Bernard Tapie et défenseur de la société russe Interneft, Me Pardo a indiqué à l'AFP qu'il y avait eu "une visite" à son cabinet mais s'est refusé à tout autre commentaire sur cette procédure qui "concerne un arbitrage international".
Selon une source proche, une quatrième perquisition a eu lieu dans les bureaux d'un ancien mandataire ad hoc, un temps désigné dans cette tortueuse affaire qui commence au début des années 1990.
Alors dirigé par Loïk Le Floch-Prigent, le groupe public Elf, ancêtre de Total, est à la recherche de champs pétroliers dans deux provinces d'ex-URSS et fait appel au sulfureux intermédiaire André Guelfi, alias "Dédé la Sardine".
Une filiale de Elf, aujourd'hui liquidée, conclut alors en 1992 un contrat d'exploration pétrolier avec la société Interneft et deux régions russes. Mais il n'entrera jamais en vigueur.
Succédant en 1993 à M. Le Floch-Prigent à la tête d’Elf, Philippe Jaffré, y met un terme en 1995 et coupe les ponts avec André Guelfi.
Une quinzaine d'années après, Interneft et les deux régions russes, qui s'estiment lésées, ont saisi le tribunal de commerce de Nanterre à l'été 2009 et obtenu la constitution d'un tribunal arbitral pour faire entendre leurs griefs.
Un autre acteur de ce dossier a tenté de récupérer son "dû" dans cette affaire. Condamné en 2005 à 18 mois ferme dans l'affaire Elf, M. Guelfi avait saisi la justice française pour réclamer 2,5 milliards de dollars à Total pour s'être retiré de ce projet pétrolier. Mais il a été débouté en janvier 2009.