"Ici devant vous, je joue ma peau...". Face à la cour d'appel de Paris, Jérôme Kerviel a passé une rude semaine, pris sa défense en main, réitéré des arguments maintes fois avancés et, soudain, tel un héros de thriller ou de tragédie grecque, invoqué un complot.
L'ancien trader au physique de jeune premier, 35 ans, condamné en 2010 à trois ans de prison ferme et 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts, une somme hallucinante impossible à rembourser, paraît décidé à tout tenter pour ne pas porter seul le chapeau.
Il a trouvé pour l'accompagner sur cette voie un avocat atypique, David Koubbi, 39 ans, plus connu pour sa clientèle people et ses prestations médiatiques que pour sa maîtrise du procès pénal.
Me Koubbi a repris le dossier guère plus de deux mois avant l'audience en appel, quand Olivier Metzner, vieux routier pénaliste, a jeté l'éponge, comme l'avaient fait avant lui plus d'une demi-douzaine d'autres avocats, dont Eric Dupond-Moretti.
Depuis le début du procès, le jeune avocat se fait rabrouer par une présidente pugnace, Mireille Filippini, qui, avant l'audition des témoins prévue à partir de mercredi prochain, a décidé de soumettre l'ancien trader à la question.
Les trois avocats de la Société Générale ont d'ailleurs droit eux aussi à ses remontrances, même le célèbre Jean Veil qui, dès le premier jour, est allé bouder dans son coin. "Allons maître, ne faites pas de caprice..."
En janvier 2008, Kerviel était accusé d'avoir causé une perte historique de près de cinq milliards d'euros à la Société Générale, après avoir spéculé, seul, à l'insu de sa hiérarchie, sur des dizaines de milliards. En dissimulant, mentant, fabriquant de faux courriels.
Depuis quatre ans et aujourd'hui encore, il répète qu'il a certes dépassé les bornes, mais affirme avoir eu pour seul but de faire gagner de l'argent à la banque. Il se décrit comme pris dans un engrenage, comme "un hamster dans une roue" et, surtout, assure que ses supérieurs "savaient".
- "Vous ne répondez jamais" -
Jusqu'à présent, personne ne l'a cru. Ni le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke, qui a mené l'enquête, ni Dominique Pauthe, le président du tribunal correctionnel qui l'a lourdement condamné.
A son tour, Mireille Filippini tente de comprendre, lui demande pourquoi, si ses supérieurs savaient, il était nécessaire de leur mentir, de leur servir des "salades". Et pourquoi ses chefs ne l'ont-ils pas stoppé en 2007, quand ses positions spéculatives déjà énormes accusaient des "pertes latentes" conséquentes?
"Vous ne répondez pas à ma question, vous ne répondez jamais à ma question!", lance la présidente à Jérôme Kerviel, campé devant le micro, dans son costume sombre.
Et là, dans le cadre très solennel de la première chambre de la cour d'appel, avec son plafond à caissons et ses bas-reliefs en bois doré, l'ancien trader se dit victime d'un complot.
Si ses chefs ne l'ont pas stoppé dès 2007, c'est parce que ses positions "ouvertes", très risquées, étaient "couvertes" par un autre service de la banque. Il n'en savait rien, il vient de l'apprendre, dit-il.
Selon lui, la banque l'aurait utilisé comme fusible, l'accusant d'avoir creusé un trou de 5 milliards pour mieux dissimuler ses propres pertes provoquées par la crise des "subprimes", ces crédits immobiliers américains responsables d'une crise financière mondiale.
Le public sur ses bancs de bois, les journalistes perchés dans leur mezzanine, tout le monde se demande s'il a bien entendu. La présidente est plus que sceptique. Le lendemain, elle exige de la défense des "preuves", des "documents écrits", qui seront examinés lundi. Faute de quoi, la théorie du complot aura fait long feu.