La Commission européenne a annoncé mardi avoir ouvert une enquête formelle contre le géant gazier russe Gazprom, qu'elle soupçonne d'entrave à la concurrence et de manipulation des prix dans plusieurs pays d'Europe centrale et orientale très dépendants des livraisons de gaz russe.
Gardienne de la concurrence en Europe, la Commission soupçonne notamment Gazprom d'avoir "empêché la diversification de l'approvisionnement en gaz" dans ces pays et "imposé à ses clients des prix du gaz injustifiés en les liant aux prix du pétrole".
"Si elles sont prouvées, de telles pratiques sont susceptibles de constituer une restriction à la concurrence et de provoquer une hausse des prix ainsi qu'une détérioration de la sécurité des approvisionnements", explique la Commission.
Les pays concernés sont la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, la Bulgarie, la Hongrie, la Lituanie, la Lettonie et l'Estonie, a précisé à l'AFP Antoine Colombani, porte-parole du commissaire européen chargé de la Concurrence, Joaquin Almunia. Mais "il n'est pas exclu qu'en fonction des résultats de l'enquête, elle soit étendue à d'autres pays", a-t-il dit.
Selon une source proche du dossier, Gazprom est notamment soupçonné de "chercher à segmenter le marché intérieur européen pour pouvoir pratiquer des prix différents selon les Etats membres", notamment en empêchant les Etats à qui il fournit du gaz de le revendre ensuite à d'autres.
La crainte est notamment que "les prix pratiqués ne soient plus liés aux fondamentaux" des prix du gaz, explique cette source, "ce qui en fin de chaîne rejaillit sur le consommateur final".
L'ouverture de cette procédure "ne préjuge pas de l'issue de l'enquête mais signifie que la Commission traitera le dossier en priorité", rappelle le communiqué.
Cette annonce n'est pas une surprise: la Commission avait indiqué fin septembre 2011 qu'elle menait des inspections inopinées dans les locaux de compagnies présentes dans le secteur du gaz naturel en Europe, et plusieurs sources avaient alors expliqué que ces perquisitions faisaient suite à des soupçons visant Gazprom.
La Lituanie avait en effet déposé en janvier 2011 une plainte à Bruxelles contre Gazprom, qu'elle accusait de position dominante.
Au moment où elle a procédé aux perquisitions, fin septembre 2011, la Commission avait indiqué que son enquête préliminaire se concentrait sur la production de gaz en amont pour savoir si la concurrence avait été entravée "soit unilatéralement, soit à travers des accords".
En annonçant l'ouverture d'une enquête formelle contre le seul Gazprom, elle semble avoir finalement privilégié la première hypothèse.
A l'époque, non seulement Gazprom, mais aussi les groupes allemands d'énergie RWE et EON, l'Autrichien OMV et la compagnie lituanienne Lietuvos Dujos avaient reçu la visite des inspecteurs de Bruxelles.
La Commission rappelle qu'il n'existe pas de délai légal en matière d'enquêtes pour pratiques anticoncurrentielles, car elles dépendent "de nombreux facteurs, parmi lesquels la complexité du cas traité, l'étendue de la coopération de l'entreprise en question avec la Commission et l'exercice de ses droits à la défense".
La Commission a précisé à l'AFP que 25% du gaz consommé en Europe provenait de Russie, tous producteurs confondus.
Les contrats sur lesquels porte l'enquête concernent "entre 60 et 100% de la consommation de gaz dans les pays concernés", a précisé M. Colombani.
Les enquêtes de la Commission pour abus de position dominante sont susceptibles de déboucher sur des sanctions financières, qui peuvent atteindre 10% du chiffre d'affaires d'une société.