Confrontées à la fin du secret bancaire, les banques privées suisses, souvent centenaires et détenues par des intérêts privés ou familiaux, sont décidées à tourner la page du passé, qui a fait leur fortune et leur réputation.
Devant tous les bouleversements subis par la profession ces derniers temps, notamment la suppression programmée du secret bancaire, il est préférable de faire face "pour mieux construire l'avenir" plutôt que de "s'accrocher à un passé idéalisé mais révolu", a déclaré vendredi à Bâle Christoph Gloor, président de l'Association des banques privées suisses et par ailleurs président de la banque privée bâloise La Roche & Co AG.
"Des décisions fondamentales ont été prises", a-t-il ajouté, quelques semaines après que la Suisse eut accepté le principe de l'échange automatique d'informations en matière bancaire, qui va mettre fin au secret bancaire d'ici deux ans environ.
La place financière suisse prend désormais un nouveau départ, a-t-il ajouté devant un parterre de banquiers privés qui assistaient à l'assemblée générale annuelle de leur association.
Parmi eux figuraient des dirigeants de banques renommées telles que Lombard Odier, Pictet ou Mirabaud, spécialisées dans la gestion de fortune.
Depuis quelque temps, les banques suisses, qui contribuent à la prospérité de la Suisse et qui emploient plus de 260.000 personnes directement ou indirectement, traversent une zone de fortes turbulences.
Elles sont confrontées au problème de ce qui est appelé "le règlement du passé", soit la régularisation de tous les comptes non déclarés ouverts par des étrangers non résidents.
Des accords ont été conclus avec les Etats-Unis, et la France a ouvert une procédure de régularisation, qui a permis, selon M. Michel Sapin, ministre français des finances, de récolter 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires en 2013, du fait des contribuables repentis, qui ont déclaré leurs comptes à l'étranger.
23.000 personnes ont ainsi déclaré en France depuis juin 2013 leurs comptes à l'étranger, dont 80% étaient situés en Suisse.
"Nous avons la plus grosse part, car c'est nous qui avons le plus agi envers nos clients pour qu'ils se déclarent", a relevé vendredi un banquier privé genevois, sous couvert d'anonymat.
Selon lui, les Français qui se déclarent conservent leurs comptes en Suisse, en raison de "la qualité de services", qu'ils ne trouvent "nulle part ailleurs".
Il a aussi réfuté l'idée selon laquelle les banquiers suisses font payer très cher leurs services, contrairement aux autres banques étrangères.
"Personne ne travaille gratuitement, il y a des frais cachés chez les autres banques, pas chez nous", a-t-il plaidé.
Un client repenti paye environ 25% de sa fortune placée en Suisse au fisc français, hors frais de succession, s'il a hérité du compte.
Le système actuel est nettement moins favorable que celui de 2009, mis en place par l'ancien ministre du budget Eric Woerth, et qui ne taxait les repentis qu'à hauteur de 12% environ.
Les banquiers suisses reconnaissent cependant aujourd'hui qu'ils gèrent moins d'argent en Suisse, car les fonds qui restent se retrouvent amputés des sommes versées au fisc.
Selon eux, le salut vient désormais de leur implantation à l'étranger, où ils cherchent à s'y développer massivement.
Vendredi, M. Gloor a relevé que "les membres de notre association s'internationalisent sans relâche".
En six ans, les effectifs des banquiers privés en Suisse ont augmenté de 6%, alors qu'ils ont progressé de 67% à l'étranger, ce qui représente près de 900 postes de travail.
"Cette tendance s'accentue", a-t-il ajouté.
Concernant l'échange automatique d'informations, que la Suisse a été obligée d'accepter sous la pression de la communauté internationale, M. Gloor a indiqué vendredi qu'il "est temps de prendre acte que, contrairement aux Etats-Unis, la Suisse n'a pas la capacité d'imposer ses vues au reste du monde, même si elles se fondent sur des concepts a priori raisonnables".
La Suisse a longtemps milité pour un modèle préservant l'anonymat du détenteur de compte, qui était cependant soumis à l'impôt. Ce modèle n'a pas été retenu par la communauté internationale.
La Suisse est une des grandes places financières mondiales, spécialisée dans la gestion de fortune. En Europe, les grands centres sont Londres, Zurich, Genève et Luxembourg. En Amérique, ce sont New York et Miami et, en Asie, Singapour et Hong Kong sont les aimants des fortunes émergentes.