Le yen prisé en temps de crise atteint des sommets depuis des mois, ce qui permet aux Nippons de voyager facilement à l'étranger et d'acheter des produits importés moins cher, même si les exportateurs de l'archipel font grise mine.
"Valeur refuge", le yen a entamé son ascension au début de la crise financière internationale à l'été 2007, et l'a poursuivie au gré de la crise de la dette en Europe et du ralentissement économique mondial.
En cinq ans, le dollar a dégringolé de 123 yens à 78, et l'euro de près de 170 yens à 97.
Aujourd'hui, un Japonais voyageant en Europe dispose, pour la même somme en yen, d'un pouvoir d'achat augmenté de moitié. De quoi inciter les Nippons, habituellement peu enclins à partir en vacances, à prendre un peu de bon temps. Ce printemps, Japan Airlines a dû affréter des vols charter vers l'Espagne, l'Italie et la Grèce en raison d'une forte demande.
Nombre de magasins organisent aussi des "soldes du yen fort" au Japon, sabrant les prix de produits importés. Vin, fromage ou charcuterie peuvent ainsi être acquis pour moins cher.
Ce phénomène soulage aussi les compagnies d'électricité locales, au bord de l'asphyxie depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima qui a entraîné l'arrêt quasi total des 50 réacteurs du pays.
Obligées d'importer des hydrocarbures en masse pour faire tourner les centrales au gaz et au pétrole à plein régime, leur facture énergétique a un peu moins gonflé que redouté grâce au "super yen".
Les puissantes maisons de commerce multiplient pour leur part les acquisitions dans l'agriculture, les mines et l'énergie, tandis que les grandes banques nippones renforcent leur position de créancières sur les marchés mondiaux.
Tous secteurs confondus, les firmes japonaises n'ont jamais acheté autant à l'étranger depuis la période de la bulle financière nippone de la fin des années 1980. Elles sont même soutenues par les pouvoirs publics qui débloquent des prêts à bas taux, en dollars, pour les aider dans leurs acquisitions.
"Le gouvernement aide les entreprises japonaises à s'internationaliser davantage en tirant profit de l'appréciation du yen", résume Ivan Tselichtchev, professeur à l'Université de gestion de Niigata (centre-nord du Japon).
D'après lui, le Japon est en train de redevenir l'une des puissances financières dominantes de la planète grâce à la force de sa monnaie.
Revers de la médaille, la hausse du yen handicape lourdement les exportateurs nippons: s'ils veulent maintenir leurs marges, ils doivent augmenter leurs tarifs en devises étrangères, une option qu'ils rejettent habituellement.
Mais aujourd'hui, la devise nippone a atteint de tels sommets que les géants japonais de l'électronique comme Sony, Panasonic ou Sharp sont contraints de fermer des sites dans l'archipel, et que les constructeurs d'automobile doivent accélérer le développement de leurs usines à l'étranger.
Régulièrement, les grands patrons japonais appellent les autorités à agir contre le yen cher. Mais depuis une série d'interventions - peu concluante - sur le marché des changes, Tokyo semble peu ou prou résigné.
La valeur du yen "dépend de la conjoncture internationale. Avec la crise en zone euro, la demande en actifs internationaux sûrs reste forte", souligne David Rea, du centre de recherche Capital Economics. Selon lui, "les autorités japonaises n'ont pas vraiment les moyens d'agir sur la valeur de leur monnaie au-delà du court terme".