En rabotant, supprimant ou rétablissant mécanismes fiscaux et taux d'imposition, le gouvernement est soupçonné de céder à la tentation de défaire ce qui a été fait par ses prédécesseurs, au prix d'une instabilité fiscale rarement bénéfique à l'économie.
Alors qu'il rend les derniers arbitrages sur son projet de budget 2013, le gouvernement donne le sentiment de vouloir "effacer 10 ans de gouvernement conservateur" et de "revenir à une fiscalité du temps de Lionel Jospin", a expliqué à l'AFP Alain Trannoy, directeur d'études à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).
Après l'annulation des mesures emblématiques de l'ère Sarkozy durant l'été ("TVA sociale", défiscalisation des heures supplémentaires, baisse des droits de succession), plusieurs dispositifs prévus ne font qu'en reprendre, refaire ou réviser d'autres. Il s'agit par exemple du retour à l'ancien barème de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), de la substitution d'un nouveau mécanisme aux avantages Scellier pour l'investissement locatif ou du plafonnement des niches fiscales.
"C'est normal, parce que l'impôt est le privilège du politique, qu'il soit modifié en début de mandature puisque ça correspond à un changement d'options politiques et des priorités accordées aux différents critères de justice et d'efficacité", a argumenté M. Trannoy.
"Mais il est important que les changements fiscaux soient annoncés d'un coup et qu'on essaie de s'y tenir, sauf raison conjoncturelle réelle et sérieuse", a prévenu le spécialiste, convaincu de la nécessité pour les agents économiques "de raisonner sur un horizon de cinq ans".
Si le gouvernement a assuré en juillet que ses réformes fiscales se concentreraient sur 2012 et 2013, l'exemple de son prédécesseur, qui est revenu en fin de mandat sur ses mesures du début, inquiète.
"Cela finit par donner le tournis"
Les allers et retours fiscaux sont "un énorme problème" pour les entreprises, a estimé Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME). "Les chefs d'entreprise ne peuvent pas investir tant qu'ils ont une épée de Damoclès au-dessus de la tête, qu'ils redoutent que ça change toutes les huit semaines", a-t-il déclaré à l'AFP.
"A partir du moment où on est dans un monde qui fait que tous les ans les règles changent, pour l'économie, ce n'est pas bon. L'économie a besoin de stabilité", a confirmé Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers et de l'artisanat.
"Nous n'avons pas tous les jours des gens qui sont là pour étudier les règles", a-t-il souligné, estimant que cette instabilité bloque initiatives et investissements, faute de savoir "ce qui se passera dans six mois".
Cette incertitude, qui pèse tant sur les ménages que sur les entreprises, "génère des immobilismes", forcément peu bénéfiques à l'activité économique, a assuré à l'AFP l'avocat fiscaliste Christian Louit.
Il cite la fiscalité de l'immobilier, emblématique de ce rythme en dents de scie. "On a pratiquement bloqué les transactions immobilières avec le prolongement à 30 ans de la durée de détention des biens immobiliers" pour échapper à la taxation de la plus-value, voté par le gouvernement Fillon et entré en vigueur en février, a-t-il rappelé. Un blocage que le gouvernement Ayrault envisage d'ailleurs déjà de contourner via un abattement supplémentaire de 20%...
Sans critiquer les réformes annoncées par la ministre de Logement Cécile Duflot, le patron du réseau d'agences immobilières Orpi, Bernard Cadeau, a abondé dans ce sens. "On est dans cet espèce d'effet d'annonce, un coup dans un sens, un coup dans l'autre, ça finit par donner le tournis, on n'a plus beaucoup de repères", a-t-il regretté mercredi sur BFM Business.