Dans l'ex-RDA longtemps sinistrée, Leipzig connaît un boom artistique depuis la Réunification, au point que certains présentent la ville comme le nouveau Berlin alternatif.
Avec sa devanture décatie et son enseigne vieillotte, le magasin "Roz Mode" n'a pas connu de coup de peinture depuis la fin de la RDA il y a 23 ans. En vitrine, ni robes, ni jupes, mais des statues en bois. L'échoppe de cet ancien quartier ouvrier de Leipzig s'improvise désormais galerie d'art.
Peu à peu, les pas de porte crasseux, abandonnés au temps qui passe depuis la fin du régime communiste, s'ouvrent à la création artistique.
Les jeunes alternatifs de toute l'Allemagne viennent poser leurs valises et leurs idées dans cette ville située à seulement un peu plus d'une heure de train de la capitale.
Leipzig, d'où partit à l'automne 1989 le mouvement de contestation qui allait emporter le régime stalinien d'Erich Honecker, renaît de ses cendres au point d'être comparée au Berlin d'il y a 20 ans. Phénomène rarissime dans l'ancienne Allemagne de l'Est, la cité a retrouvé l'an dernier son niveau de population --530.000 habitants-- d'avant la Réunification grâce notamment aux jeunes qui s'y installent.
Pour asseoir son renouveau, la ville s'appuie sur une solide tradition artistique avec la Nouvelle école de peinture de Leipzig, emmenée par l'artiste mondialement connu Neo Rauch.
"Depuis la chute du Mur, ici c'était une zone à l'abandon, beaucoup d'habitants sont partis, les boutiques ont fermé", raconte Daniela Nuss, qui anime un espace de troc où les artistes peuvent récupérer des matériaux pour fabriquer leurs œuvres.
Leipzig, centre industriel du temps de la RDA, a pris la Réunification en pleine figure, perdant jusqu'à 100.000 habitants partis chercher leur bonheur à l'ouest. Les files de chômeurs ont grossi au fur et à mesure que fermaient les combinats vétustes de l'économie planifiée est-allemande. La ville compte encore près de 12% de sans-emploi (contre 6,8% dans l'ensemble du pays) et près d'un habitant sur cinq vit du minimum social.
Mais "ici, il est encore relativement facile de vivre avec pas grand chose", juge Monica Sheets, une artiste américaine qui gère un lieu d'exposition d'objets du quotidien de la RDA.
Les montants des loyers y sont modérés. Monica Sheets débourse trois euros par mètre carré (charges comprises) pour son local. Les friches industrielles sont omniprésentes. "A Nice où je vivais avant, il faut compter cinq ans pour trouver un lieu (d'exposition). Ici on en a trop! On peut trouver un espace en 5 minutes", raconte le Français Neven Allanic, rencontré dans une ancienne usine de tapisserie qui a survécu aux guerres et aux dictatures pour devenir un centre d'art.
"Chacun peut tenter sa chance", reprend Constanze Müller, co-fondatrice de l'espace artistique D21, installé dans un ancien salon de coiffure de RDA. "A Berlin, on n'est qu'un artiste parmi d'autres", ajoute-t-elle.
Des immeubles laissés à l'abandon depuis 20 ans sont cédés pour moins de 15.000 euros. Des artistes fauchés y bricolent l'électricité et réinstallent l'eau. Des collectifs y trouvent demeure pour un mode de vie alternatif. Le samedi, on palabre dans la cour autour d'un brunch avant de faire ses emplettes au magasin bio communautaire, à l'angle.
"Ici, la scène underground existe encore", selon Neven Allanic. "On peut aller se baigner dans un lac un dimanche matin et tomber en pleine forêt sur une soirée qui se prolonge".
Cette faune en dreadlocks qui cuisine végétarien et vide des bières au comptoir du bar "Vivre encore mieux" ne craint pas vraiment l'embourgeoisement qu'a connu Berlin. "Bien sûr, nous nous demandons dans quelle mesure nous contribuons à la gentrification en nous installant dans les anciens quartiers ouvriers", explique Daniela Nuss. "Mais le pouvoir d'achat ici ne grimpe pas comme à Berlin".
Leipzig manque encore d'ouverture internationale, nuancent certains. "Il y a très peu d'immigrés ici, ce qui signifie aussi peu d'influences d'autres cultures", regrette l'Américaine Monica Sheets. "D'une certaine façon, la ville reste très provinciale".