Si la fusion entre Deutsche Börse et London Stock Exchange échoue, comme cela semble se profiler, c'est le groupe boursier britannique qui aurait "le plus à perdre", car il deviendrait une "cible", selon Antoine Pertriaux, du cabinet de conseil Cognizant business consulting.
Question : Pourquoi les groupes boursiers européens (DB, LSE, Euronext) ne parviennent-ils pas à constituer un géant régional ?
Réponse: "Aujourd'hui, il y a une volonté légitime du régulateur de s'assurer que la création d'un géant européen n'enfreint pas les règles de libre concurrence en Europe. Or nous voyons bien que le rapprochement de ces grands opérateurs créerait un acteur prédominant à l'échelle européenne.
Du coup le régulateur réclame logiquement des compromis importants, comme demander au LSE de détacher la partie italienne de ses activités, ce qui lui pose problème puisque cela représente une partie de ses revenues, une implantation en Europe continentale et la main sur le marché obligataire italien.
De fait, l'association d'un des trois acteurs majeurs en Europe, à savoir DB, LSE ou Euronext créerait dans tous les cas, un groupe prédominant. Au niveau européen, le problème de concurrence est donc clair.
En revanche, au plan international, il y a de l'autre côté de l'Atlantique des acteurs gigantesques qui cherchent à s'implanter en Europe et avec lesquels en l'état les acteurs boursiers européens ne peuvent pas rivaliser.
La question se pose donc pour le régulateur de savoir si l'Europe veut créer un géant capable de soutenir la concurrence.
Q: Si l'échec se confirme, LSE et DB s'en trouveraient-ils affaiblis ?
R: Si la fusion ne se fait pas, c'est LSE qui à court terme a le plus à perdre, car l'opérateur londonien pourrait devenir une cible privilégiée pour les groupes boursiers américains ICE ou CMI qui avaient déjà manifesté leur intérêt.
En outre, reste la question de savoir si le régulateur européen va imposer le rapatriement en Europe continentale des activités de compensation en euros (qui permettent de s'assurer de la sécurité des transactions financières réalisées en devise européenne, ndlr).
Dans ce cas, c'est le LSE qui aurait aussi le plus à perdre, car la fusion permettrait au nouveau groupe, en fonction de la tournure que prend le Brexit d'avoir une base solide en Europe continentale.
DB a de ce point de vue l'avantage d'être sur le continent.
Q: A qui profiterait le plus cet échec ?
R: Pour les acteurs américains, il serait positif que cela ne se fasse pas. Car cela leur éviterait d'avoir face à eux un acteur de leur taille et cela leur offrirait plus de possibilités pour avancer dans leur conquête de l'Europe.
Pour les groupes européens, cela ne changerait pas grand chose, car ils sont très largement spécialisés sur des marchés sur lesquels ils ont chacun des positions dominantes ou très intéressantes.
Euronext, par exemple, est ainsi en position de force sur ses quatre marchés européens (France, Pays-Bas, Belgique, Portugal) sur la partie actions. Il ne risque pas de se retrouver en concurrence sur ces segments, même en cas de fusion DB/LSE.
Les plateformes alternatives ont réussi à se faire une belle place, mais la situation s'est stabilisée ces dernières années.
Et pour le marché en pleine croissance qui intéresse tout le monde actuellement, à savoir celui des dérivés, les opérateurs alternatifs ne sont pas non plus les mieux positionnés en Europe.
L'échec de cette opération a donc plus de chance de générer un statu quo en Europe, jusqu'à ce qu'une nouvelle acquisition d’envergure se présente, comme éventuellement une absorption de LSE par un américain.
Un tel mouvement constituerait d'ailleurs un danger pour l'Europe, car cela entraînerait une prise de contrôle d'activités de dérivés qui ont vocation à rester contrôlées par le régulateur européen.
Et si LSE est racheté par ICE ou CMI, la question d'un rapprochement entre Euronext et DB se reposerait afin de favoriser l'émergence d'un acteur européen de plus grande envergure.