En proclamant dimanche que son adversaire véritable était "le monde de la finance", le socialiste François Hollande a mis ses pas dans ceux de François Mitterrand, s'inscrivant aussi dans une tradition ancienne de défiance de la gauche vis-à-vis de l'argent.
Dans son premier grand discours de campagne au Bourget, le candidat PS a évoqué un adversaire sans nom, sans visage, qui "ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant gouverne": "le monde de la finance".
Il décrit une puissance devenue "un empire", qui a pris le contrôle "de nos vies" et qu'il faudra affronter dans "un long combat".
Il a aussi voulu opposer sa frugalité personnelle - "j'aime les gens quand d'autres sont fascinés par l'argent", "je n'aime pas les honneurs, les protocoles et les palais" - à l'attitude de Nicolas Sarkozy et "ses "cadeaux fiscaux aux plus fortunés".
Le député de Corrèze avait marqué son aversion vis-à-vis de l'argent dès juin 2006, en lançant: "je n'aime pas les riches". En janvier 2007, il suscitait la polémique en plaçant à 4.000 euros nets par ménage la barre de l'aisance, avant de rectifier le tir.
Ses propos de dimanche font écho à ceux du seul président socialiste de la Vème République, auquel le député de Corrèze ambitionne de succéder, François Mitterrand.
"Le véritable ennemi, j'allais dire le seul, parce que tout passe par chez lui", "celui qui tient les clefs", "c'est le monopole !", avait lancé ce dernier en 1971 au Congrès fondateur d'Epinay qui visait ainsi "toutes les puissances d'argent, l'argent qui corrompt", "qui tue", "qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes !".
Avec la mondialisation et les crises - subprimes, euro, dettes - le "monopole" est devenu chez le député de Corrèze le "monde de la finance".
Mais, relève Gérard Grunberg, spécialiste du PS, il s'inscrit ainsi dans une ligne de longue date ancrée à gauche. Le politologue remonte, pour en trouver les racines, à la monarchie de juillet (1830-1848)", premier vrai régime libéral, "apparaissant comme celui des privilégiés" face au monde ouvrier qui s'organisait.
Les premiers socialistes, poursuit le chercheur, "étaient presque tous d'origine chrétienne, ayant rompu avec une église jugée infidèle à l'évangile" qui proclame: "heureux les pauvres".
Cette méfiance a pris bien des formes, du "mur de l'argent" dénoncé par le Cartel des gauches après la première guerre mondiale, aux "200 familles", "maîtresses de l'économie française", des forces qu'un "état démocratique ne devrait pas tolérer", tempêtait le radical Edouard Daladier en 1934.
Pour M. Grunberg, "les socialistes ont toujours besoin d'adversaires. Cibler la finance internationale "évite de revenir sur une des évolutions du PS" qui a accepté le marché, en "réduisant le champ de la condamnation à une partie du capitalisme vraiment sale".
"Très amoindri au moment du néolibéralisme triomphant, le thème s'était assoupi dans les années 1980, les crises l'ont ranimé", note le politologue.
Deux spécialistes des sondages relèvent que la dénonciation touche bien au-delà de la gauche. "C'est très consensuel, en résonance avec une majorité de l'opinion", selon Denis Jeanbart (Opinionway).
80% des Français se sont dits favorables à l'encadrement des salaires des traders, cite Jérôme Fourquet (Ifop). Transcendant le clivage droite-gauche, le thème dépasse les frontières: c'est un gouvernement conservateur, relève-t-il, qui a séparé les activités dépôt et affaires des banques britanniques. Une des mesures prônées par M. Hollande.