Huit mois après sa présentation par la direction, le "nouveau contrat social" de France Télécom pour lutter contre le mal-être des salariés après une vague de suicides s'est-il vraiment concrétisé ? La question est posée par syndicats et experts après la mort tragique d'un cadre.
L'un des quatre enfants de l'homme de 57 ans qui s'est immolé par le feu mardi à Mérignac (Gironde) a assuré que son suicide était "lié au travail". Le même jour, et sans lien apparent, une employée de Caen a tenté de "se taillader le poignet", sans se blesser grièvement.
Selon l'Observatoire du stress et des mobilités forcées, créé par des syndicats du groupe, il y a eu environ soixante suicides depuis 2008.
Ces nouveaux gestes tragiques sont-ils le signe que le changement attendu n'a pas eu lieu depuis l'arrivée en mars 2010 de l'équipe menée par Stéphane Richard, censée rompre avec le système de management de Didier Lombard?
Syndicats et experts jugent que des accords fondamentaux ont été signés (conditions de travail, mobilité, équilibre vie privée-vie professionnelle, stress, etc.).
En outre, un "nouveau contrat social" a été présenté en septembre 2010 aux 100.000 salariés en France, pour remettre l'humain au coeur de l'entreprise, avec un budget de 900 millions d'euros sur trois ans.
"On voit bien que la nouvelle direction de France Télécom a engagé énormément de chantiers", affirme Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet Technologia, mandaté en septembre 2009 pour trouver comment mettre fin au malaise social.
"Il y a une partition qui a été écrite, une bonne partition pour le changement, sauf qu'on ne la joue pas suffisamment encore sur le terrain", a-t-il déclaré à l'AFP.
"Quand pendant des années sous l'ère Lombard on vous dit: +le grand projet c'est de sortir un maximum de monde+, c'est très compliqué le lendemain d'aller dans une relation d'aide, d'écoute et de proximité (...). C'est un changement de culture profond, brutal", a-t-il relevé, évoquant les quelque 12.000 managers du groupe.
Bruno Metling, directeur des ressources humaines, répond que "dans un ensemble de 100.000 personnes, tout le monde peut comprendre qu'entre l'expression et la détermination à agir et la traduction concrète, il se passe forcément des délais importants".
Signes concrets de changements avancés par le responsable: un médecin du travail pour 1.500 salariés, soit une hausse de 20%, ou une commission de médiation qui a permis de résoudre "plusieurs dizaines de cas".
"Je ne suis pas là pour dire qu'on est au bout du chemin", ajoute le DRH pour qui "rien ne serait pire que de céder au découragement".
M. Metling a également relevé auprès de l'AFP qu'au lendemain du drame, les "partenaires sociaux étaient tous sur le registre +on ne dit pas que les choses n'avancent pas+".
Mais les syndicats, à l'image de Patrice Diochet (CFTC), posent aussi la question: "pourquoi les accords ne sont-ils toujours pas appliqués sur le terrain?".
Selon un expert, préférant garder l'anonymat, il y a un problème de pouvoir, Stéphane Richard se heurtant à la "résistance sourde" de quelque 1.000 cadres dirigeants "carrière Lombard".
Il y a aussi, dit-il, un "problème de culpabilité collective", M. Richard ayant fait "l'erreur de ne pas avoir assumé symboliquement pour passer à autre chose".
En septembre 2009, au plus fort de la crise sociale, l'homme qui s'est suicidé mardi avait adressé un courrier à sa direction, dans lequel il disait être "en trop".
Selon M. Delgènes, il reste au sein du groupe "1.000 à 2.000 personnes avec un risque psychique élevé: des gens qui ont été traumatisés par des méthodes très critiquables", dont il faut s'occuper pour éviter de nouveaux drames.