par Marine Pennetier
PARIS (Reuters) - A l'heure où les appels à intervenir en Libye se multiplient, la France se livre à un délicat jeu d'équilibriste pour éviter une répétition du scénario de 2011 tout en préservant les acquis de ses opérations antiterroristes dans la bande sahélo-saharienne.
"La France est piégée", estime Hasni Abidi, directeur du centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) à Genève. "Ne pas intervenir c'est faire courir des risques supplémentaires aux forces françaises dans le Sahel et intervenir c'est réveiller de mauvais souvenirs, ceux liés aux conséquences de l'intervention de 2011."
En 2011, la France avait pris la tête d'une coalition militaire conduite sous mandat de l'Onu qui avait provoqué la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Quatre ans plus tard, le pays est miné par les rivalités entre milices armées et est dirigé par deux parlements et deux gouvernements rivaux.
L'inquiétude suscitée par la dégradation de la situation sécuritaire et politique en Libye s'est encore renforcée avec le développement de "sanctuaires djihadistes" dans le Sud, faisant craindre une déstabilisation régionale.
Face à ces menaces, le Tchad, le Niger et le Mali ont appelé ces dernières semaines la communauté internationale à intervenir pour réparer la situation engendrée par l'intervention de 2011.
Interrogé lundi sur France Inter, François Hollande a écarté l'idée d'une intervention militaire strictement française, estimant que c'était à la "communauté internationale de prendre ses responsabilités", notamment en matière de soutien à un dialogue politique entre les différentes parties.
SYNDROME LIBYEN
"Il y a un syndrome libyen qui s'installe en France, locomotive en 2011 de l'intervention militaire qui a été mal accompagnée", souligne Hasni Abidi. Résultat, la France fait preuve de prudence "mais ça ne veut pas dire pour autant qu'elle ne se prépare pas à des opérations ponctuelles".
L'avancée des travaux sur la base militaire française de Madama, dans l'extrême-nord du Niger et à une centaine de kilomètres de la frontière libyenne, et le renforcement des moyens de renseignement dans le Sahel témoignent de cette "préparation 'au cas où'", selon le chercheur.
A Paris, officiellement, on écarte toute intervention militaire dans l'immédiat en Libye et on insiste sur l'importance de trouver une issue politique à la crise.
"Y retourner (militairement) maintenant ce serait irresponsable", souligne une source gouvernementale. "On ne va pas refaire le coup du 'on arrive, on tape et on vous apporte la démocratie et l'union nationale'".
Les spécialistes s'accordent à dire qu'une intervention internationale ne sera efficace que si elle s'accompagne d'une feuille de route courant sur plusieurs années.
"La solution politique, c'est l'union nationale à travers les responsables locaux et les tribus", souligne une source diplomatique française. "Les deux camps sont dans une logique de 'je vais gagner militairement', on n'est peut être pas loin du moment où les camps vont se fatiguer militairement".
"Il y a un préalable qui est de s'assurer de la capacité des Nations unies d'obtenir un deal politique, on peut être pessimiste quand on voit la situation sur le terrain mais il est légitime de laisser du temps au processus politique."
LOINTAINE SOLUTION POLITIQUE
Sur le terrain, l'issue politique semble encore loin. Une première réunion de dialogue organisée sous l'égide de l'Onu entre les parties en conflit s'est tenue en septembre, sans résultat. Une deuxième devait se tenir lundi et a été reportée. Aucune date n'a été fixée pour la reprise des discussions.
"L'échec des négociations et de la médiation onusienne pourrait être l'argument recherché par la France pour demander un vote des Nations unies" sur la Libye, souligne Hasni Abidi.
"Si rien ne se passe il faudra peut être taper, militairement on en a les moyens, il faut six mois pour préparer ça", indique une source gouvernementale française qui s'inquiète de voir entamer à terme "l'acquis de Serval", l'opération lancée au Mali début 2013 et remplacée depuis par l'opération Barkhane début août sur l'ensemble de la bande sahélo-saharienne.
L'intervention en Libye pourrait alors prendre la forme d'une opération de contre-terrorisme et non d'une force de stabilisation de type onusienne, souligne-t-on.
Pour l'ancien diplomate et spécialiste de la Libye, Patrick Haimzadeh, "il est déjà trop tard".
"Il faut arrêter de penser qu'il y a une solution à tout", estime-t-il. "Il fallait se poser la question fin 2011. A l'époque, on est parti à fond sans réfléchir et sans voir que c'était une guerre civile. Or une guerre civile on n'en sort pas juste avec la chute du régime".
"La question qui se pose actuellement c'est : est-ce que la Libye en tant que pays est encore viable? Chaque petit village a maintenant son dictateur, on a des centaines de petits Kadhafi", poursuit-il. "Est-ce que les Libyens vont réussir à inventer un système fédéral à plusieurs Etats, est-ce qu'ils vont réussir à s'entendre? C'est là tout l'enjeu".
(Edité par Yves Clarisse)