En passant de nouvelles commandes géantes au salon de Dubaï qui fermait jeudi, les compagnies du Golfe ont affiché leur ambition de redessiner la carte du transport aérien pour devenir le centre du monde.
Les avionneurs, Boeing et Airbus, partagent cette vision révolutionnaire de la géographie même si leurs clients traditionnels, les compagnies historiques, craignent d'en faire les frais.
Les compagnies émiriennes --Emirates Airlines basée à Dubai et Etihad lancée par Abou Dhabi-- et Qatar Airways basée à Doha, accumulent des commandes pharaoniques et mettent à profit leur situation géographique, à mi-chemin entre l'Amérique et l'Asie, pour se développer.
Rien qu'à Dubaï cette semaine, Emirates a commandé d'un coup 50 long-courriers 777-300ER à Boeing pour la bagatelle de 18 milliards de dollars, tandis que Qatar Airways achetait à Airbus 50 moyen-courriers A320 Neo et cinq superjumbos A380.
"Nous avons un plan stratégique ambitieux pour continuer à développer notre réseau international et en particulier les vols longs sans escale", a déclaré le patron d'Emirates, cheikh Ahmed ben Saïd al Makhtoum.
"Les trois compagnies du Golfe considèrent que leur marché n'est pas le Moyen-Orient mais le monde", a déclaré à l'AFP Randy Tinseth, vice-président de Boeing pour le marketing.
John Leahy, le directeur commercial d'Airbus, aime expliquer à l'aide d'un diagramme que des long-courriers comme l'A330 ou le Boeing 777 mettent 90 % de la population et les deux-tiers de la richesse mondiale à portée de vol de Dubaï. Avec un A380, le monde entier est à sa portée.
Pour Airbus, Dubaï sera dans vingt ans un des trois centres du trafic aérien mondial, derrière Pékin et Hong Kong. Boeing prévoit que les Emirats Arabes Unis, avec leurs 8 millions d'habitants, formeront le troisième marché national derrière les Etats-Unis et la Chine.
"Il n'est pas nécessaire d'avoir une population importante, explique M. Tinseth. Ce qui compte c'est la façon de se développer, elles le font en proposant des dessertes sans escale vers le monde entier".
Pour lui, trois facteurs expliquent la prodigieuse croissance des trois compagnies: 23% par an en dix ans. La région a une population jeune, de très nombreux travailleurs migrants et de nouvelles destinations touristiques émergent, comme en Egypte et à Oman.
John Leahy ajoute un quatrième facteur: l'ouverture du marché de l'aviation en Inde, qui a permis aux compagnies du Golfe de pénétrer le marché du sous-continent.
Couplée avec la progression des compagnies traditionnelles de la région et l'apparition d'opérateurs à bas coût comme FlyDubai, lancée en 2009, la percée des "trois grands" justifie les prévisions astronomiques des constructeurs.
Boeing évalue à 2.500 la demande d'avions neufs dans les 20 ans à venir, soit un marché de 450 milliards de dollars. Airbus, plus conservateur, ne table que sur 1900 appareils et 347 milliards de dollars.
Mais Richard Aboulafia du groupe américain Teal, spécialiste secteur, estime que le trafic aérien ne soutiendra pas une telle expansion des flottes. "Ces chiffres ne peuvent coller que si une énorme partie du trafic échappe aux transporteurs traditionnels, européens et asiatiques".
Air France-KLM, British Airways et Lufthansa se plaignent déjà d'une concurrence déloyale. Elles reprochent aux nouveaux venus de bénéficier des prix articiellement bas du carburant dans le Golfe et du financement des gouvernements notamment pour les achats d'avion.
"De fait, commente M. Aboulafia, c'est une politique industrielle. Ce développement ne tiendra que tant que les Etats du Golfe investiront de l'argent".
Mais les Emirats ont l'habitude de déjouer les prédictions.
Dubaï a fait sourire quand il a décidé dans les années 1970 de construire une cale sèche pour les grands navires, alors que Bahreïn tout proche en possédait déjà une, jugée bien suffisante pour le Golfe. Le port de Dubaï est aujourd'hui un des plus actifs du monde.
Quand en 1985, Dubaï a lancé sa propre compagnie aérienne, faisant concurrence à Gulf Air opérée par Abou Dhabi, Bahrein, Oman et le Qatar, les sceptiques étaient nombreux. On connait la suite...