Pour la première fois, la justice allemande a condamné mardi une banque au motif qu'elle n'avait pas suffisamment informé un client des risques qu'il encourait en souscrivant certains de ses emprunts, un jugement qui pourrait faire boule de neige.
Le géant bancaire allemand Deutsche Bank "a manqué à son obligation de conseil (...) concernant un produit hautement complexe", a tranché la Cour fédérale de Karlsruhe (ouest), la plus haute instance judiciaire allemande.
La banque a été condamnée à payer une indemnité de 541.000 euros au plaignant, Ille, une entreprise de robinetterie de Hesse (ouest) à qui elle avait vendu en 2005 un produit financier risqué.
Ce "spread ladder swap" consistait à échanger des crédits à long terme contre des crédits à court terme, en spéculant sur des taux d'intérêts plus bas.
Deutsche Bank avait vendu plusieurs centaines de produits de ce type à des villes allemandes comme Pforzheim (sud-ouest) ou Hagen (nord-ouest) et des entreprises qui voulaient réduire la charge de leur dette.
Mais au lieu de cela, elles ont perdu des millions d'euros quand les courbes de taux d'intérêts à court terme se sont relevées avec la crise financière.
La décision de la Cour fédérale était très attendue alors que plusieurs villes et entreprises ont également entamé des procédures contre Deutsche Bank et d'autres établissements bancaires dans des affaires similaires.
Deutsche Bank fait ainsi face à huit contentieux similaires devant la Cour fédérale et à 17 autres devant des instances inférieures pour le moment, a déclaré le groupe. Le montant des dommages et intérêts réclamés "est très limité", a-t-il précisé.
Mais ces demandes ne seraient que le sommet de l'iceberg par rapport à l'étendue des pertes subies par certains des clients de ces produits dérivés de crédit, estiment leurs avocats.
"Je pense pour ma part que l'ensemble des dommages représente jusqu'à un milliard d'euros", a déclaré à l'AFP Jochen Weck, l'avocat de l'entreprise Ille. La banque a vendu plus de 700 fois ce genre de produits, selon lui.
Par ailleurs la Cour fédérale a estimé que la banque était en situation de "conflit d'intérêt" car elle gagnait de l'argent si son client en perdait. Deutsche Bank avait ainsi gagné 80.000 euros aux dépens de l'entreprise Ille, selon M. Weck.
"C'est un bon jugement", a déclaré à l'AFP Klaus Nieding, un autre avocat qui représente 60 entreprises et communes qui avaient signé des contrats similaires d'une valeur nominale de 160 millions d'euros. "Nous étudions aussi la possibilité de réouvrir des anciens dossiers", a-t-il ajouté.
Jusqu'à présent aucune plainte contre Deutsche Bank n'avait abouti car les tribunaux jugeaient que les municipalités auraient dû être capables de savoir ce qu'elles faisaient.
"Ce n'étaient pas des novices", estime Udo Steffens, président de la Frankfurt School of Finance interrogé par l'AFP. "Ces villes voulaient gagner de l'argent, elles ont parié et elles ont perdu. C'est l'économie de marché. Et maintenant elles affirment qu'elles ne voulaient pas parier".
Des procès similaires ont aussi lieu ailleurs dans le monde comme aux Etats-Unis ou en Italie par exemple, où la mairie de Milan accuse quatre banques dont Deutsche Bank, JPMorgan et UBS de l'avoir abusée avec des produits financiers trop complexes.
En France aussi des collectivités estiment avoir été victimes d'"emprunts toxiques" et se sont tournées vers la justice pour demander des comptes à leurs banques.