Synonyme d'instabilité et de déprime économique durable, la disparition de l'euro est un scénario catastrophe rejeté par les grands groupes européens mais qu'en réalité, la plupart ne peuvent pas se permettre d'esquiver, surtout si l'Europe échoue à nouveau d'ici ce week-end.
Dans les discours officiels, la plupart des grands groupes interrogés par l'AFP ne veulent même pas envisager une disparition de la monnaie unique une décennie seulement après sa naissance.
"Nous ne préparons pas de scénario dans l'hypothèse d'un éclatement de la zone euro", affirme le patron du sidérurgiste allemand ThyssenKrupp, Heinrich Hiesinger.
Beaucoup, à l'instar du français Bouygues, de l'allemand Volkswagen ou des italiens Enel et Finmeccanica, préfèrent se taire. "Car il n'y a rien de pire qu'une prophétie autoréalisatrice. A partir du moment où tout le monde se persuade qu'une monnaie n'a plus d'avenir, elle n'en a plus", relève Alexander Law, économiste au cabinet Xerfi.
Mais en réalité, "bien entendu que les grandes entreprises se préparent", assure-t-il. "Ce serait de la mauvaise gouvernance d'entreprise que de ne pas, ne serait-ce que réfléchir, à ce scénario."
C'est ce qu'a en effet reconnu le directeur général du pétrolier Shell, Peter Voser. "Nous sommes habitués à la gestion du risque et (...) on peut prendre pour acquis que quelqu'un se prépare à ce genre de choses", a-t-il déclaré mardi au Qatar. Sans autre précision.
"Si nous avions un plan secret, je ne pourrais pas en parler, car ce ne serait plus un plan secret", explique en toute logique le patron du leader mondial de la chimie BASF, Kurt Bock.
Le voyagiste britannique TUI Travel et sa maison mère allemande TUI, leaders des tour-opérateurs en Europe, ont toutefois envoyé aux hôteliers grecs une lettre contenant des dispositions de paiement en cas de retour à une autre monnaie que l'euro. Au cas où...
Mais beaucoup de questions se posent aux entreprises si l'euro disparaît: comment préserver ses liquidités ? où maintenir la production ? quels investissements annuler ? quelles conséquences pour les accords commerciaux transfrontaliers ? quel impact de dévaluations monétaires ?
Chez Heineken, on veut croire "fermement" en l'euro. Mais cela n'empêche pas le brasseur néerlandais de conserver des réserves "plus importantes" dans les autres monnaies "au cas où les transferts européens d'argent seraient entravés", selon un porte-parole.
Mais une éventuelle fin de l'euro en déconcerte encore plus d'un. Pour le directeur général du groupe de BTP espagnol Abengoa, Manuel Sanchez Ortega, "c'est de la pure science-fiction", un scénario qui sert "surtout à alimenter la spéculation".
"Nous ne savons même pas comment gérer de nouveau un contexte dans lequel il y a plusieurs monnaies. Avec le niveau actuel de réseau industriel, cela deviendrait une bataille très difficile", admet le patron de Fiat Sergio Marchionne.
L'heure est donc surtout aux appels hauts et forts aux politiques pour trouver une solution à la crise de la dette au plus vite, dès le sommet européen jeudi et vendredi à Bruxelles.
"Il est grand temps maintenant, il ne reste plus beaucoup de temps pour prendre ces décisions politiques, c'est là-dessus qu'il faut se concentrer", presse Peter Voser.
La présidente du patronat français (Medef), Laurence Parisot, avertissait dans une tribune dans le journal Le Monde que "le démantèlement de l'euro et le délitement de l'Europe provoqueraient des décennies d'appauvrissement".
"Avec l'euro, les entreprises ont gagné en stabilité et en facilité de transaction", rappelle Alexander Law. Une stabilité qui leur paraît impensable de perdre quand déjà la récession économique menace de nouveau leur activité.