La crise et son cortège de hausses d'impôts, de chômage, de baisses de salaire, aura épargné peu de maux à la Grèce hormis les saisies de logement, limitées par un moratoire auquel les créanciers du pays commencent à trouver des défauts, obligeant Athènes à jouer serré pour protéger ce fragile équilibre.
Un premier texte de 2008 a suspendu les saisies de tout bien immobilier faisant l'objet de créances dans la limite de 200.000 euros. La "loi Katseli" de 2010 a renforcé le gel des saisies sur les résidences principales, en prenant comme critère non le montant de la dette mais le niveau de revenu du ménage.
Dans un pays qui possède l'un des taux de propriété les plus élevés d'Europe, ce parapluie immobilier a largement contribué à amortir la dégringolade sociale d'une partie de la population depuis la déflagration de la crise de la dette en 2010.
"Changer les règles sur les saisies immobilières serait le début d'une rupture politique, économique et sociale", affirme à l'AFP l'ancienne ministre socialiste Louka Katseli qui a laissé son nom à la loi de 2010.
Mais les créanciers pointent désormais les inconvénients de cette protection : "le moratoire sur les saisies a entraîné une hausse importante des banqueroutes stratégiques, c'est à dire des gens qui arrêtent de rembourser leurs emprunts alors qu'ils en ont les moyens", affirmait récemment, au quotidien Kathimerini, Poul Thomsen, représentant du FMI au sein de la troïka (UE-BCE-FMI) des créanciers d'Athènes.
Ce moratoire expire dans un mois, le 1er janvier 2014. Sa levée totale ou partielle est l'un des principaux points d'achoppement des laborieuses négociations en cours depuis fin septembre entre Athènes et la troïka pour le versement d'une tranche d'un milliard d'euros, dans le cadre du second plan d'aide à la Grèce.
La presse grecque se fait l'écho des prédictions les plus sombres en cas de reprise des saisies. Selon Kathimerini, le nombre d'enchères immobilière entre 2009 et 2012 a chuté de 50%, mais la levée du moratoire pourrait entraîner la vente forcée soudaine de 110.000 habitations.
Un célèbre magistrat n'hésite pas à augurer "d'une seconde catastrophe d'Asie Mineure" en référence à l'une des pages douloureuses de l'histoire nationale lorsqu'en 1922, des milliers de grecs d'Asie mineure, chassés des décombres de l'empire ottoman, ont afflué en Grèce, sans toit et sans ressource.
Qui est pauvre ?
Lundi, la Commission européenne a plaidé le malentendu, affirmant qu'il n'était pas question de remettre en cause la protection "des plus vulnérables".
"Nous cherchons à reformuler la protection offerte aux familles les plus vulnérables sans les possibilités d'abus offertes par le système actuel de moratoire généralisé", a déclaré Simon O'Connor, porte-parole du commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, Olli Rehn.
Pour Nikos Magginas, économiste à la banque nationale de Grèce, ces "abus" sont moins le fait de la loi, qui ne protège pas les gros revenus, que des lenteurs de la justice qui peuvent porter les délais d'examen des litiges jusqu'à quatre ou cinq ans.
"Tant que le dossier de surendettement n'est pas jugé, les remboursements sont gelés", explique-t-il.
Les banques grecques affichent de fait un taux de créances douteuses, c'est à dire de prêts non remboursés, de 29% du total des crédits, dont une part importante dans l'immobilier. En comparaison, les créances douteuses des banques espagnoles s'établissaient en août à 12,12%.
La réforme de la procédure de saisie vise donc à soutenir le secteur bancaire toujours extrêmement fragile malgré la recapitalisation achevée en juin. Tout en évitant d'accélérer la chute des prix de l'immobilier grec (-30% depuis 2010) par un afflux d'enchères.
Sous pression d'une majorité parlementaire réduite à quatre sièges, le gouvernement grec ne cesse de répéter que les plus pauvres resteront protégés par la loi.
Mais "comment va-t-on définir la pauvreté dans la Grèce aujourd'hui ?", s'interroge Panagiota Kalapotharakou, de l'association de défense des consommateurs Ekpizo, hostile à une libération des saisies immobilières.
Selon des chiffres du service des statistiques grecques publiés vendredi, basés sur les revenus de 2011, 23,1% de la population grecque est exposée à la pauvreté, un chiffre en hausse et le pire désormais du classement européen.