Contre toute attente la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé jeudi qu'elle pourrait augmenter son taux directeur dès le mois prochain, semant l'étonnement voire le doute sur sa stratégie.
Le taux directeur de la BCE est fixé à 1% depuis mai 2009, pour aider la zone euro à surmonter la crise économique et éviter la déflation.
Si son président Jean-Claude Trichet a pris soin de préciser qu'une hausse en avril était "possible, mais pas certaine", tous les économistes tiennent pour acquis qu'elle aura bien lieu: elle sera de 25 points de base, selon eux, portant le taux à 1,25%. Et suivie sans doute de deux autres avant la fin de l'année.
"Il n'y a guère qu'une aggravation de la crise de la dette souveraine" qui pourrait empêcher la BCE d'agir maintenant qu'elle a provoqué son petit séisme, selon Jörg Krämer et Peter Dixon de Commerzbank.
La déclaration de M. Trichet à l'issue de la réunion mensuelle du conseil des gouverneurs de la BCE a pris tout le monde par surprise, les économistes de RBS évoquant même un "choc".
Ce n'est pas tant le principe d'une hausse de taux que le calendrier choisi qui a étonné.
"Selon nous, la BCE se prépare à relever les taux trop tôt", estimaient vendredi Julian Callow et Laurent Fransolet, de Barclays Capital.
Trop tôt parce que malgré les chiffres encourageants de la croissance et du chômage dans la zone euro dans son ensemble, tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Un fossé sépare l'Allemagne triomphante et la Grèce en récession, par exemple.
Le mandat premier de la BCE n'est toutefois pas d'assister les Etats en difficulté, mais de s'assurer que l'inflation tourne autour du chiffre de 2%, sans le dépasser. Et l'institution craint actuellement pour la stabilité des prix, ce qui rend nécessaire une action à ses yeux.
Après 2,3% en janvier, l'inflation en zone euro a affiché selon un chiffre provisoire 2,4% en février, portée par la flambée des cours du pétrole et des matières premières. Elle devrait évoluer au-dessus de 2% encore plusieurs mois, poussant la BCE à revoir sa prévision pour l'année à 2,3%.
L'inflation sous-jacente, c'est à dire hors énergie et alimentation considérés comme très volatiles, reste contenue. Mais la BCE préfère agir préventivement pour éviter l'émergence d'effets "de second tour", une hausse des salaires qui à son tour déclencherait une nouvelle hausse des prix.
La menace de tels effets ne fait pas l'unanimité. Pour Philippe d'Arvisenet, de BNP Paribas, ils sont pour l'instant "difficiles à imaginer". Au contraire, Gilles Moëc de Deutsche Bank juge que "la zone euro est plus susceptible que d'autres régions de (les) voir se développer".
Estimant une hausse des taux appropriée, il juge que le choix de la date n'est pas exempt de considérations politiques, au moment où les dirigeants européens tergiversent encore sur la taille de leur fonds de soutien aux pays en difficulté et la réforme du Pacte de stabilité.
"La BCE pressent, et elle a probablement raison, qu'à la fin mars les Européens vont finalement faire assez peu en terme de réforme de l'Union monétaire" et veut montrer qu'elle ne veut plus être la seule "à mettre vraiment de l'argent sur la table", juge-t-il.
La BCE a été contrainte de maintenir son dispositif de soutien aux banques, dont certaines sont toujours dépendantes de ses liquidités, alors que de nouveaux tests de résistance se profilent en juin: elle poursuit ainsi ses prêts sur une semaine, un mois et trois mois à montants illimités et taux fixe pendant un trimestre.
Elle continuera aussi à racheter des obligations publiques des pays en difficulté.