Les professionnels de l'alimentation en Allemagne sont excédés par les prix très bas, et le législateur semble décidé à agir contre la grande distribution, tenue pour responsable de tous les maux.
Agriculteurs, industriels, associations de consommateurs, tous s'y mettent pour dénoncer les grands noms de la distribution, accusés d'imposer des prix dérisoires et d'inonder le marché de produits de piètre qualité.
L'asymétrie entre une industrie agroalimentaire très fragmentée et, en face, une poignée de géants de la distribution et leurs puissantes centrales d'achat, n'est ni nouvelle ni limitée à l'Allemagne, mais elle y a une acuité particulière car six distributeurs tiennent 90% du marché alimentaire.
Et "le sujet prend une nouvelle ampleur", assure à l'AFP Elvira Drobinski-Weiss, députée social-démocrate (SPD, opposition) de la commission de l'Agriculture et de la Protection du consommateurs. Celle-ci a auditionné cette semaine plusieurs experts sur la question.
"En tant que législateur, nous devons faire quelque chose", selon Mme Drobinski-Weiss, pour qui "manifestement, le droit actuel de la concurrence ne suffit pas". "Je peux m'imaginer que l'on arrive à un accord" entre toutes les parties, ajoute-t-elle.
Faire éclater l'oligopole des distributeurs paraît peu réaliste. Le commissaire européen à l'Agriculture, le roumain Dacian Ciolos, recommande d'ailleurs de prendre le problème par l'autre bout.
Il faut "plus de partenariat entre vous dans les négociations", recommandait-il récemment aux agriculteurs allemands, "si on ne peut pas faire baisser la concentration à un bout de la chaîne, il faut augmenter la concentration à l'autre bout".
Et c'est là que les intéressés réclament un changement législatif, pour pouvoir coopérer sans être accusés d'entente. "Coopérer? on aimerait bien mais c'est interdit par le droit de la concurrence", déplorait il y a peu le président de la fédération de l'industrie agroalimentaire BVE, Jürgen Abraham.
En Allemagne six groupes de distribution, parmi lesquels les géants Metro et Rewe et les discounters Aldi et Lidl, contrôlent l'essentiel du marché de l'alimentaire. Le discount a une part de marché de plus de 40% et les prix sont effectivement très bas: ces trente dernières années, le coût de la vie a augmenté de 85%, mais les prix de l'alimentaire de 50% seulement, selon des données du BVE.
Les agriculteurs sont "de la chair à canon pour la concurrence ruineuse de la distribution", a expliqué aux députés Helmut Born, secrétaire général de la fédération agricole DBV. Les industriels du secteur quant à eux "ne peuvent pas se soustraire" à la puissance des centrales d'achat qui dictent leurs conditions, a déploré M. Abraham, du BVE.
A cet argumentaire, la grande distribution oppose la force de négociation des grands industriels, renvoyant la balle vers les Nestlé et Coca-Cola de ce monde. Et vers des consommateurs qui veulent payer toujours moins.
En Allemagne, c'est Aldi qui dicte les prix. Et il les a déjà baissés six fois cette année.
"Nous sommes obligés de suivre, sinon les ventes baissent automatiquement", explique Joël Saveuse, membre du directoire de Metro.
La ministre de l'Agriculture, Ilse Aigner, voit dans cette sensibilité du consommateur allemand au prix la racine du problème. Pour les Allemands, "l'alimentation n'a pas la même valeur que d'autres biens", a-t-elle reconnu récemment, "et là dessus je ne peux pas légiférer".
"J'engage producteurs et industriels à se voir comme une entité, sinon ils n'ont aucune chance", a-t-elle ajouté à l'adresse des producteurs agricoles allemands réunis en congrès.