Une décision de justice rarissime dans le milieu feutré de la mode a condamné en appel la maison de luxe française Chanel pour "contrefaçon" d'un ancien sous-traitant de Haute-Saône, World Tricot, qui s'accrochait depuis sept ans à ce combat de principe.
Le milieu de la mode scrutait l'issue de ce bras de fer: la cour d'appel de Paris a condamné vendredi Chanel, propriété de la famille Wertheimer, à verser 200.000 euros de dommages et intérêts à World Tricot estimant que le géant du luxe avait copié un motif en maille créé par le petit fabricant.
Cet arrêt infirme la décision de décembre 2009 du tribunal de commerce qui avait blanchi Chanel et reconnu son rôle de créateur dans la conception d'une broderie en crochet ornant une des vestes de la marque.
Au contraire, la cour d'appel estime que le motif de la veste constitue "une copie servile de l'échantillon appartenant à la société World Tricot" et que cette dernière est "fondée à soutenir que la broderie litigieuse est une oeuvre collective créée à son initiative au sein de son entreprise".
C'est exactement ce que clamait, en vain jusqu'ici, la fondatrice de World Tricot, Carmen Colle, depuis qu'elle avait reconnu dans la vitrine d'une boutique Chanel à Tokyo le motif au crochet qu'elle avait proposé à la marque en 2004 mais que celle-ci avait finalement refusé, en dépit de son enthousiasme initial.
"Ce n'était pas un combat contre Chanel mais pour le droit des artisans créateurs", a réagi Mme Colle qui n'a pu retenir ses larmes en découvrant la décision.
Son avocat Me Pascal Créhange s'est réjoui d'"un arrêt qui va faire jurisprudence": "c'est une manière de reconnaître la créativité de tous ceux qui, dans l'ombre de leur atelier, ont de l'imagination".
Liquidation judiciaire
"On rend justice aux petites mains qui possèdent davantage qu'un savoir-faire", a ajouté sa consoeur Me Hortense Bessière.
Chanel a indiqué dans un communiqué qu'elle n'avait pas encore décidé d'un éventuel pourvoi en cassation. Elle a toujours affirmé avoir guidé World Tricot dans la création du motif.
"Nous n'avons jamais été confrontés à une situation de ce type auparavant, sachant que nous travaillons avec près de 400 fournisseurs. Ce cas bien spécifique ne reflète pas la qualité de nos relations avec nos fournisseurs", a précisé Bruno Pavlovsky, président des activités mode de Chanel.
Le combat de Mme Colle, qui avait réussi à faire travailler une petite entreprise de réinsertion de femmes en difficulté pour les grands noms de la haute couture, avait rencontré de nombreux soutiens en France.
L'ancienne animatrice de quartier ne pouvait s'empêcher de songer vendredi au "gâchis" de ces sept années de procédure: "toutes les portes se sont fermées" depuis qu'elle s'est attaquée à Chanel, affirme-t-elle. World Tricot est en liquidation judiciaire.
En première instance, le tribunal avait condamné Chanel à verser à World Tricot 400.000 euros de compensations pour rupture abusive du contrat qui les liait. La cour d'appel a cette fois débouté le sous-traitant sur ce point.
A Lure (Haute-Saône) où l'aventure World Tricot a démarré à la fin des années 1980, avec l'aide financière de l'Abbé Pierre et du Secours Catholique, Mme Colle relance progressivement une nouvel atelier qui présentera sa première collection ce week-end dans la petite cité franc-comtoise.
En avril 2010, une "charte des bonnes pratiques" a été signée entre maisons de luxe et façonniers, afin de "refonder les relations" entre donneurs d'ordre et sous-traitants.