Rattrapé par une vieille affaire, Jürgen Fitschen, l'un des deux patrons de la première banque allemande Deutsche Bank, va être jugé pour faux témoignage et encourt une peine de prison, une annonce à même d'attiser les spéculations sur son départ.
Jürgen Fitschen sera jugé à partir du 28 avril, aux côtés de quatre autres anciens dirigeants de Deutsche Bank, pour "escroquerie à un procès", a fait savoir lundi le tribunal de grande instance de Munich.
Il est reproché aux cinq hommes d'avoir menti lors du procès qui a opposé Deutsche Bank au magnat des médias Leo Kirch puis à ses héritiers, une affaire judiciaire-fleuve qui a débuté avec la spectaculaire faillite de l'empire Kirch au début de la dernière décennie, faillite que l'intéressé a accusé la banque d'avoir précipitée.
Les accusations de tromperie dont M. Fitschen fait l'objet sont passibles de six mois à dix ans d'emprisonnement. Ironie du sort, l'affaire est confiée au juge qui a mis fin l'an dernier à un procès contre le magnat de la Formule 1 Bernie Ecclestone contre un paiement de 100 millions d'euros, un montant record dans l'histoire judiciaire allemande.
M. Fitschen co-dirige la banque depuis 2012 avec Anshu Jain, mais cette direction bicéphale, où l'Allemand pose comme le garant de l'identité allemande de la banque, est souvent remise en question. Maintenant "les questions sur un retrait (de M. Fitschen) de la tête de Deutsche Bank sont programmées", commentait le quotidien Die Welt.
"Cela devient sérieux", estimait le magazine Der Spiegel, prédisant déjà "l'un des procès les plus spectaculaires de l'histoire de l'économie allemande".
- quelques mots funestes -
La banque s'est contentée de rappeler que "la présomption d'innocence s'applique à tous les membres actuels et anciens de la direction".
A l'origine de toute l'affaire, quelques mots lâchés en 2002 à la chaîne télévisée Bloomberg TV par le patron d'alors de Deutsche Bank, Ralf Breuer. Il émet des doutes sur la solvabilité de l'empire Kirch.
Deutsche Bank compte alors parmi les créanciers du groupe. Les propos ont l'effet d'une bombe: la panique s'empare des investisseurs et KirchMedia dépose le bilan deux mois plus tard.
Le groupe est forcé de revendre ses activités : droits sportifs (football et Formule 1 en particulier), chaînes de télévision (ProSiebenSat.1, Premiere, aujourd'hui Sky) ou encore ses parts dans l'éditeur allemand Axel Springer.
Humilié, Leo Kirch s'en prend à la banque, qu'il accuse d'avoir violé le secret professionnel, pour précipiter sa chute et s'engraisser sur sa carcasse. Deutsche Bank a beaucoup gagné en accompagnant le dépeçage du groupe.
S'ensuit une guerre judiciaire sans merci, dont M. Kirch ne verra pas l'issue - il meurt en 2011 à 84 ans.
M. Breuer s'est toujours défendu en affirmant n'avoir fait que rapporter ce qu'il avait lu dans les médias.
En 2014, Deutsche Bank accepte de verser près d'un milliard d'euros, intérêts compris, aux ayants-droit du magnat, pour mettre fin à l'affaire.
- "version fausse" -
Mais ce sont désormais les déclarations faites lors de ce procès fleuve qui sont remises en cause.
A l'époque, M. Breuer avait fait témoigner d'autres membres de la direction de Deutsche Bank, pour défendre sa bonne foi : Jürgen Fitschen, alors membre du directoire; Josef Ackermann, le Suisse qui a succédé à M. Breuer; l'ancien chef du conseil de surveillance Clemens Börsig; et Tessen von Heydebreck, qui siégeait lui aussi au directoire.
Ils sont tous visés par le nouveau procès. En 2011, ils ont corroboré à plusieurs reprises la défense de M. Breuer, alors qu'il s'agissait manifestement d'une "version fausse des faits avérés", accuse le parquet.
M. Fitschen avait livré "un témoignage pas clair" selon le parquet, qui suggérait une volonté d'"éviter de faire devant les juges de fausses déclarations, sans pour autant remettre en cause la stratégie de défense" de Deutsche Bank.
La banque est engagée dans plus de 6.000 litiges, pour lesquelles elle a dû constituer plus de 3,2 milliards d'euros de provisions, mais cette affaire est de loin la plus retentissante.