Forme de travail atypique, entre régimes salarié et indépendant, le portage salarial est encore confidentiel. Mais ses adeptes, notamment des seniors en transition professionnelle, parient sur l'essor d'un système souple et désormais réglementé.
Réservé aux cadres, notamment des consultants, le portage salarial leur permet d'effectuer des missions pour diverses sociétés, en passant par l'intermédiaire d'une "entreprise de portage" qui les salarie et se charge de la gestion administrative. Mais, à l'inverse de l'intérim, ce sont les "salariés portés" qui prospectent leur clients.
"Si j'avais connu le portage avant de créer ma SARL, je ne serai jamais passé par là, c'est incroyablement plus léger", témoigne Jean-Marc Andouin, 61 ans, expert en réseaux informatiques qui vit en Bourgogne.
Ce senior, qui n'est pas décidé à raccrocher, voit dans le portage une solution idéale pour les cadres comme lui: "en France, vous n'avez qu'une toute petite fenêtre: on vous reproche d'abord votre manque d'expérience et, dix ans plus tard, vous êtes bon à jeter à la poubelle", dit-il.
Dans un accord réglementant ce métier, signé en 2010 mais généralisé en juin, syndicats et patronat soulignaient que le portage incarnait "une solution alternative aux travailleurs seniors dont la qualification et l'expertise leur permettent de réaliser des prestations de conseil, de tutorat, d’encadrement".
De fait, chez les quelque 30.000 "portés", selon le Peps (patronat du secteur), l'âge moyen tourne autour de 50 ans.
Blandine Molin, 50 ans, officie comme consultante en recrutement après avoir été notamment manager ressources humaines du géant pharmaceutique Pfizer.
"Le portage correspond au monde d'aujourd'hui, où on demande de la flexibilité. Les gens ont des expertises et des compétences que l'on recherche dans les entreprises, mais pas de façon pérenne", affirme-t-elle.
Seul inconvénient à ses yeux, "quand vous facturez 100.000 euros, il ne vous en reste que 50.000".
Après un licenciement ou un burn out
Ex-luthier d'art, reconvertie dans le conseil en organisation, Béatrice Noir, 56 ans, s'est tournée vers le portage alors qu'elle cherchait un emploi, après avoir rencontré un employeur qui ne souhaitait pas la salarier.
"L'avantage, c'est qu'on peut s'affranchir de l'entreprise tout en conservant un filet de protection sociale, notamment en matière d'indemnisation chômage", insiste-t-elle.
La quinquagénaire souligne aussi qu'elle "profite du réseau mis à disposition de la société de portage", qui lui a fourni "du business et des collaborateurs".
"Mais toutes les entreprises ne se valent pas: certains confrères ont vu les sommes versées par leurs clients disparaître dans la nature", raconte-t-elle.
"Beaucoup de cadres en ont par dessus la tête des grands groupes, le portage c'est la liberté avec le plus d'un statut protecteur. Cela fait partie des nouvelles formes d'emploi pas très connues, qui sont en train d'exploser à mon avis", pronostique Anick Devaud-Ricard, qui codirige l'entreprise de portage Savoir Faire et Cie.
Patrick Levy-Waitz, patron de la société ITG, poids lourd du secteur, ajoute que cette solution est prisée par "des personnes en reconversion ou qui se repositionnent après un accident de la vie professionnelle: licenciement, désillusion, burn out...".
Lui aussi parie sur un essor de cette forme atypique d'emploi, qui concerne des cadres très autonomes, notamment les secteurs des ressources humaines, de l'informatique, du marketing ou encore des métiers du web.
"C'est de plus en plus apprécié par d'autres classes d'âge, notamment des retraités et des jeunes qui aspirent à travailler autrement. En Grande-Bretagne, 300.000 personnes exercent avec un statut voisin du portage salarial", dit-il.
A 65 ans, Jean-Jacques Dupont, ingénieur, coule une paisible retraite au Bourget-du-Lac (Savoie) mais continue à travailler en portage "deux fois quinze jours par an".
"Je suis passé à la retraite il y a cinq ans et, au bout de six mois, je n'étais pas en phase. Ni en vacances, ni actif, je me suis aperçu que j'avais besoin de me repositionner sur le monde du travail", confie-t-il.