Pour préserver ses chances d'obtenir des contrats aux Etats-Unis, la SNCF a exprimé pour la première fois ses regrets pour son rôle dans la déportation des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que l'entreprise ferroviaire affirmait jusque-là qu'elle avait agi sous la contrainte.
En déplacement début novembre aux Etats-Unis pour présenter l'offre de la SNCF pour le projet de ligne à grande vitesse Tampa-Orlando, son président Guillaume Pepy a rencontré des élus de l'Etat de Floride (sud-est) et des associations juives.
La compagnie a publié à cette occasion un communiqué qui évoque "le souhait de la SNCF d'exprimer sa profonde peine et son regret pour les conséquences de ses actes" réalisés sous la contrainte "de la réquisition".
M. Pepy fait référence dans ce texte au discours prononcé par le président Jacques Chirac en juillet 1995, lors des commémorations de la Rafle du Vel' d’Hiv': "Ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'Etat français."
"En tant que bras de l'Etat français, la SNCF reprend à son compte ces mots et la peine qu'ils reflètent pour les victimes, les survivants et leurs familles qui ont souffert à cause de notre rôle pendant la guerre", écrit le patron de la SNCF.
L'ex-député européen des Verts Alain Lipietz, dont la famille a perdu en appel un procès contre l'Etat et la SNCF, a salué "un pas évident dans l'avancée de la vérité historique" et invité M. Pepy à "redire ses excuses en France".
La SNCF, également candidate à l'exploitation d'une ligne à grande vitesse en Californie, est sommée depuis plusieurs mois aux Etats-Unis de rendre des comptes sur son action pendant la Seconde Guerre mondiale.
En Californie, le démocrate Bob Blumenfield a fait voter une loi qui oblige tous les candidats à un contrat à faire la lumière sur leur rôle éventuel dans le transport de "prisonniers" de 1942 à 1944, texte auquel le gouverneur Arnold Schwarzenegger a finalement mis son veto.
Un élu de Floride à la Chambre des représentants, le démocrate Ron Klein, a déposé un projet de loi similaire au niveau fédéral.
M. Pepy avait déclaré en août que la SNCF, qui a transporté quelque 76.000 juifs déportés pendant la guerre, avait ouvert ses archives en 1996 et était prête à mettre ces documents à la disposition des Américains. Il avait rappelé que de 2.000 cheminots avaient été "exécutés" par les nazis.
Mais au vu des enjeux financiers des contrats (des dizaines de milliards de dollars), pour la SNCF mais surtout pour son fournisseur de trains Alstom, la direction de la compagnie ferroviaire a choisi de se repentir publiquement.
En Floride, un centre éducatif consacré à l'Holocauste a cependant rejeté vendredi les regrets de la SNCF, accusée de "tourner autour du pot". "S'ils veulent présenter des excuses, ils doivent le faire directement auprès des survivants", a déclaré Rositta Kenigsberg, vice-présidente de l'Holocaust Documentation and Education Center.
Du côté des syndicats français, la CGT cheminots s'est interrogée sur "les réelles motivations" des Etats-Unis pour conditionner l'obtention d'un contrat commercial à cette question.
"J'encourage la SNCF à regarder en face cette page de l'histoire, quitte à briser des mythes", a réagi de son côté François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l'homme, qui regrette toutefois que cette tragédie ait été "instrumentalisée à des fins de protectionnisme".