La Commission européenne a porté un rude coup jeudi à la compagnie maritime marseillaise SNCM en lui demandant de rembourser d'ici la fin août 220 millions d'euros d'aides publiques, une décision qui pourrait lui être fatale et contre laquelle elle va faire appel.
Dans sa décision rendue jeudi, l'exécutif européen reconnaît que les compensations de service public reçues sur la période 2007-2013 par la SNCM et son alliée, la Compagnie Maritime de Navigation (CMN) pour la desserte "de base" entre la Corse et Marseille sont conformes aux règles de l'UE.
Au moment où la SNCM doit signer avec l'Etat une nouvelle délégation de service publique pour la période 2014-2020, "c'est une bonne nouvelle pour la pérennité de cette liaison maritime", a souligné au cours d'un point de presse un porte-parole de la Commission, Olivier Bailly.
Mais il s'agit sans doute d'une maigre consolation pour la compagnie maritime, au regard de l'autre décision prise jeudi par la Commission. En cause: les aides d'Etat perçues par la SNCM, non pas pour le service "de base" mais pour le service "complémentaire", couvrant les périodes de pointe pendant la saison touristique.
Bruxelles, qui enquêtait à la suite d'une plainte déposée en 2007 par le groupe italien Corsica Ferries, le principal concurrent de la SNCM, a jugé que ces aides ne compensaient aucun besoin réel de service public et ont donc procuré un avantage indu à la SNCM par rapport à la concurrence.
L'enquête de la Commission a estimé le montant de ces compensations injustifiées à 220 millions d'euros pour la période 2007-2013. Ces aides doivent par conséquent être restituées aux contribuables, en l'occurrence à la région Corse, dans un délai de quatre mois, soit d'ici fin août.
"Nous attendions bien sûr cette décision car cela fait de nombreuses années que nous contestons cette notion de +service complémentaire+ (...) qui visait uniquement à favoriser une compagnie en difficulté financière", a réagi le directeur général de Corsica Ferries, Pierre Mattei.
Les autorités françaises doivent indiquer dans un délai de deux mois à la Commission comment elles comptent récupérer ces subventions, et quelle est la somme exacte qu'elles entendent récupérer, en comptant d'éventuels intérêts.
Il s'agit d'un coup très dur pour la SNCM, en plein marasme financier et dont le chiffre d'affaires en 2012 a avoisiné 300 millions d'euros.
Sans compter que la décision de la Commission ne referme pas le dossier de la SNCM à Bruxelles: l'exécutif européen examine en parallèle un ensemble de mesures de soutien, d'un montant total d'environ 230 millions d'euros, liées à la restructuration et à la privatisation de la compagnie entre 2002 et 2006. Là encore, elle pourrait exiger le remboursement de tout ou partie de cette somme.
Surtout, la nouvelle intervient au moment où salariés et syndicats sont fortement préoccupés pour l'avenir de la compagnie, des inquiétudes alimentées par son changement d'actionnariat.
Veolia Environnement a prévu de reprendre en direct pour un euro symbolique les 66% que détient sa coentreprise de transport Veolia Transdev dans la SNCM d'ici juin. Or, cette "remontée" dans Veolia est fortement contesté par les syndicats, qui craignent notamment l'absence de projet de Veolia pour la compagnie maritime.
Interrogé sur les conséquences de la décision de la Commission sur la pérennité de la SNCM, M. Bailly, a reconnu que "la situation de l'entreprise n'est pas aujourd'hui totalement claire".
"Il y aura évidemment une décision à prendre de la part de l'entreprise sur le remboursement de cette aide", a-t-il dit, évoquant "plusieurs possibilité", dont "la reprise de l'activité par d'autres entreprises ou la reprise au niveau local de cette activité".
"Les voies d'appels et de recours en droit pour contester cette décision de l'Europe existent. Nous allons les saisir avec la plus grande fermeté et la plus grande détermination", a réagi la direction de la SNCM dans un communiqué.
Quant à la direction de Veolia, interrogée par l'AFP, elle n'a pas fait de commentaire dans l'immédiat.
Le gouvernement français, de son côté, persiste et signe en affirmant que le service complémentaire de la SNCM pendant les périodes de pointe "répond à un besoin réel de service public". Lui aussi "se réserve toutes les voies de droit pour contester la décision" de la Commission.
Pour Maurice Perrin, représentant des actionnaires-salariés de la SNCM et délégué CFE-CGC, la décision de la Commission est "très choquante" et "profondément anormale compte tenu des délais habituels de traitement de ce genre de dossier". L'Union européenne fait "parfois preuve d'intégrisme", a-t-il regretté.