Quand Olga Savéliéva a contracté en 2008 un crédit en dollars pour acheter un appartement en banlieue de Moscou, elle était loin de s'imaginer que le rouble aurait perdu six ans plus tard la moitié de sa valeur.
Pour les comptes de cette mère de famille de 30 ans, le résultat de l'effondrement de la monnaie russe est simple: ses traites mensuelles --2.090 dollars-- sont passées de 49.000 roubles à 115.000 roubles, plus du double.
En décembre, elle n'a pas pu rembourser en totalité et sa famille se retrouve malgré tout avec 3.000 roubles, soit moins de 50 euros, pour finir le mois. "Nous ne pourrons pas payer en entier le mois prochain, nous avons d'autres obligations", soupire-t-elle, évoquant sa mère, retraitée, et son père malade d'un cancer.
Comme Olga Savéliéva, plusieurs dizaines de milliers de Russes ont contracté ces dernières années des crédits hypothécaires en devises étrangères, profitant de taux d'intérêt plus faibles que pour les emprunts en roubles. Ils se retrouvent aujourd'hui asphyxiés par la crise monétaire actuelle, conséquence d'une année de crise ukrainienne et de chute des cours du pétrole.
Selon la banque centrale, l'encours de ces crédits représentait au 1er novembre 120 milliards de roubles (près de deux milliards d'euros). L'agence publique des crédits hypothécaires estime qu'ils représentent un peu plus de 3% du montant total des crédits immobiliers dans le pays.
Plusieurs centaines de leurs détenteurs, résidant des rives de la Baltique à l'Oural, ont tiré la sonnette d'alarme via des groupes créés sur les réseaux sociaux. Plusieurs dizaines de personnes d'entre eux ont manifesté ce mois-ci sous la neige devant la banque centrale, mettant en garde contre "une situation sociale explosive" faute d'aide, dans une rare expression publique de critique contre les autorités.
Ils reprochent aux autorités monétaires, à l'oeuvre pour soutenir les banques et éviter un effondrement du système financier à cause de la chute du rouble, de ne rien faire pour les emprunteurs.
Contracter un crédit en roubles n'est pas non plus indolore: les taux d'intérêt dépassaient déjà les 10% avant la crise actuelle, et après la hausse des taux décidée par la banque centrale pour défendre la monnaie, ils promettent d'approcher les 20%.
"Pourquoi les emprunteurs sont-ils abandonnés à leur malchance?" ont demandé les protestataires mobilisés dans une lettre à la présidente de la banque centrale, Elvira Nabioullina, dénonçant une forme d'"esclavage financier".
- Aide de l'Etat ? -
Contactée par l'AFP, la Banque de Russie a souligné avoir averti à de nombreuses reprises des risques liés aux emprunts en devises. Elle a cependant reconnu qu'une "restructuration de ces prêts, par exemple en les convertissant en roubles à un taux raisonnable, serait dans l'intérêt à la fois des emprunteurs et des banques".
Zoïa Kouliéva, qui a emprunté 120.000 dollars pour acheter un appartement à Moscou en 2008, a bien contacté sa banque, qui lui a proposé d'étaler le remboursement jusqu'à ses 70 ans. "Cela veut dire que mes enfants et petits enfants vont devoir rembourser", dénonce cette comptable, qui confie éviter de suivre l'évolution du rouble en ce moment.
Pour l'économiste Evguéni Gontmakher, de l'Académie des Sciences, la chute du rouble représente "une catastrophe" pour la classe moyenne russe, dont font partie de nombreux détenteurs de crédits en devises.
Mais convertir les crédits représenterait un coût potentiellement très lourd pour les banques, déjà en manque de liquidités à cause de la crise monétaire actuelle.
Confrontée à une situation du même genre cette année, la Hongrie a pris des mesures pour alléger le poids des crédits en devises contractés par près d'un million de foyers, entraînant des charges importantes pour les établissements financiers.
A Moscou, certains députés voudraient purement et simplement bannir les crédits immobiliers en devises et réclament des aides pour les ménages déjà concernés.
"Ils ne pourront pas s'en sortir sans aide de l'Etat", assure Andreï Kroutov, du parti Russie Juste (centre gauche), interrogé par l'AFP.