Les marchés ont massivement joué contre l'euro, dans un mouvement sans précédent depuis dix ans, qui pourrait se poursuivre si l'Europe ne parvient pas à calmer l'inquiétude d'une partie des investisseurs sur la Grèce et au-delà sur toute la zone euro.
"L'euro traverse une passe difficile", résume Nordine Naam, stratégiste à la banque d'investissement Natixis. "Hormis le dollar néo-zélandais, toutes les devises se sont renchéries depuis le début de l'année face à l'euro", ajoute-t-il.
Entre le 26 janvier et le 2 février, les "hedge-funds" ou fonds spéculatifs et certaines banques d'investissements (l'américaine Goldman Sachs et l'allemande Deutsche Bank, selon des sources de marché) ont vendu massivement des euros contre des dollars, selon le rapport hebdomadaire de l'autorité américaine de régulation des marchés de matières premières (CFTC).
Concrètement, les spéculateurs ont eu recours à la stratégie de la vente à découvert (Short-selling), qui consiste à emprunter un titre ou une devise dont on pense que le prix va baisser et à le ou la vendre aussitôt. Une fois que le cours a diminué, le spéculateur rachète pour restituer au prêteur, en empochant la différence.
En l'espèce, ils ont liquidé environ 43.741 contrats en euros, qui correspondent à près de 5,5 milliards d'euros (7,6 milliards de dollars), soit davantage que les 40.000 vendus en septembre 2008, au plus fort de la crise financière, selon la CFTC.
"C'est la plus forte liquidation de l'histoire de l'euro", souligne Thomas Stolper, analyste au bureau londonien de la banque d'affaires américaine Goldman Sachs.
"Nous sommes à un niveau extrême qui traduit la tendance actuelle d'une part des investisseurs: ils parient sur la dépréciation de l'euro et vendent", souscrit M. Naam.
Officiellement, les spéculateurs s'abritent derrière l'explosion des déficits publics de la Grèce, mise sous la quasi-tutelle de l'Union européenne, et ses répercussions sur les autres pays du sud de la zone euro, explique l'analyste.
Or le dollar bénéficie traditionnellement de sa qualité de valeur refuge en temps d'incertitudes au détriment des autres grandes devises, fait observer M. Naam.
Mais "la Grèce ne représente que 2,5% du Produit intérieur brut (PIB) de la zone euro. Donc économiquement ce n'est rien", réfute une source du marché, qui a requis l'anonymat.
Selon elle, les ventes massives d'euros au profit du billet vert ne sont motivées que par de la "pure spéculation". Car le mouvement de liquidations a été "trop rapide et beaucoup trop violent pour que ce soit lié à la seule dégradation économique de la Grèce".
"Les marchés veulent tester l'Union européenne. Ils ont compris que le système de la zone euro ne permet pas un soutien financier à un Etat et s'engouffrent dans la brèche pour se faire du... pognon", souligne une autre source de marché.
L'euro, qui s'échangeait 1,37 dollar mardi, après un plus bas depuis mai à 1,35 dollar la semaine dernière, pourrait descendre jusqu'au seuil de 1,30 dollar si le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens n'annonce aucune mesure concrète pour aider au refinancement de la Grèce jeudi à Bruxelles, conviennent analystes et stratégistes.
"Un plan d'aide de l'Europe à la Grèce permettrait de soutenir un rebond de l'euro à court terme", assure Lee Hardman, analyste de Bank of Tokyo-Mitsubishi.
Toutefois, "il est peu probable qu'il modifierait la tendance plus durablement", tempère M. Lee. Car, selon M. Naam, "les marchés doutent de la capacité des pays de la zone euro à réduire leurs déficits comme annoncé à l'horizon 2013, alors qu'émergent d'autres Etats à risque (Espagne, Portugal, ndlr)".
Parce que, selon lui, il est irréaliste de croire que des plans d'austérité vont être annoncés dès cette année alors qu'on prévoit toujours une croissance molle.