La cour d'appel de Paris a confirmé mardi la responsabilité pénale de Total dans le naufrage de l'Erika, ainsi que la notion de "préjudice écologique", mais a créé la surprise en exonérant le groupe pétrolier du paiement des nouvelles indemnités laissées à la charge de ses coprévenus.
Comme en première instance, Total, la société de classification Rina, l'armateur Giuseppe Savarese et le gestionnaire Antonio Pollara ont été condamnés aux amendes maximales pour pollution: 375.000 euros pour les deux premiers, personnes morales, et 75.000 euros pour les derniers.
Le naufrage de l'Erika, le 12 décembre 1999 au large du Finistère, a souillé 400 kilomètres de côtes et mazouté quelque 150.000 oiseaux.
Dans son arrêt, la cour a estimé que la cassure du bateau, qui s'était plié en deux, avait bien été provoquée par "une grave corrosion" provoquée par "l'insuffisance d'entretien de ce navire".
La cour a surtout satisfait aux demandes des parties civiles en réaffirmant la notion de "préjudice écologique". La décision de première instance du 16 janvier 2008 avait défrayé la chronique en accordant pour la première fois un prix au vivant.
Accordé à l'époque uniquement au Morbihan et à la Ligue de protection des oiseaux (LPO), ce préjudice a été étendu mardi à d'autres collectivités (régions Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes notamment), et associations (Robin des Bois, UFC Que Choisir de Brest).
"C'est une victoire formidable, aujourd'hui l'Histoire ne passe pas à côté d'une juste cause. Cela va créer une jurisprudence qui bénéficiera dans l'avenir aux questions environnementales", s'est félicité le président de la LPO, Allain Bougrain-Dubourg.
"Il y a des motifs de grande satisfaction", a reconnu Me Corinne Lepage, avocate de dix communes du littoral. Mais, "il y a un hic, c'est que la cour a considéré que Total n'avait pas à payer parce qu'il n'était pas civilement responsable".
"Cela veut dire que (...) lorsqu'un pétrolier continuera à utiliser un bateau poubelle, il n'aura qu'un petit risque pénal, c'est quelque chose d'extrêmement préoccupant pour la suite", a-t-elle alerté.
La cour a légèrement augmenté les indemnisations accordées aux parties civiles, les portant de 192,5 millions d'euros à 200,6 millions.
Mais, coup de théâtre, elle a considéré que Total, en tant qu'"affréteur véritable" de l'Erika, était exonéré du versement de ces dommages et intérêts, du fait d'une convention internationale.
Celle-ci, baptisée "CLC", concentre en effet la responsabilité d'une pollution par hydrocarbures sur le propriétaire du navire.
Total est protégé par cette convention tant qu'il ne commet pas de faute intentionnelle, a expliqué le président Joseph Valantin. Or, selon la cour, il n'a commis ici qu'une "faute d'imprudence".
"Total n'a pas de responsabilité civile dans cette affaire", s'est réjoui le conseil de Total, Me Daniel Soulez-Larivière.
"La cour dit que Total a été imprudent mais pas téméraire, c'est une bataille de mots", a répondu Me Jean-Pierre Mignard, qui conseille huit collectivités. Pour lui, l'affaire risque fort de se régler devant la Cour de cassation.
Néanmoins, Total ne récupérera pas les 170 millions d'euros qu'il a déjà versés de manière "immédiate et définitive" à 38 parties civiles, au premier rang desquelles l'Etat (154 M EUR).
Les indemnisations restantes, quelque 30 millions d'euros, seront à la charge de Rina, Savarese et Pollara.
Les deux premiers ont déjà annoncé leur intention de se pourvoir en cassation. Total y réfléchit et a cinq jours pour se décider.