La Banque mondiale doit elle inciter les pays à se démocratiser? Oui, affirme son président Robert Zoellick qui, après les révoltes arabes, y voit un préalable à un bon développement. Non, répondent certains Etats qui refusent de voir l'institution se mêler de politique.
"Nous ne devons pas oublier que la révolution tunisienne a commencé par le suicide d'un marchand de fruits harcelé par les autorités", a lancé jeudi Robert Zoellick à l'ouverture de la réunion semestrielle de la Banque mondiale, promettant d'aider la Tunisie à "restreindre l'application arbitraire des réglementations et des formalités administratives".
Ces propos faisaient écho au discours que l'Américain avait prononcé le 6 avril, dans lequel il appelait de ses voeux un "nouveau contrat social pour le développement" et une redéfinition des missions du multilatéralisme à la lumière du printemps arabe.
"Un multilatéralisme modernisé doit reconnaître qu'investir dans la société civile et rendre des comptes à la société sera aussi important pour le développement, au Moyen-Orient ou ailleurs, qu'investir dans les infrastructures, les entreprises, les usines ou les exploitations agricoles", avait-il expliqué.
M. Zoellick s'attendait susciter des remous chez ses Etats membres. "Certains d'entre vous diront: (...) c'est de la politique, pas de l'économie", avait-il reconnu.
"Notre message à nos clients, quel que soit leur système politique, c'est qu'on ne peut pas avoir de développement réussi sans bonne gouvernance et sans la participation des citoyens", avait-il répondu, comme pour désamorcer de possibles polémiques.
Plusieurs pays occidentaux ont profité de la réunion de printemps de la Banque mondiale, samedi à Washington, pour apporter leur soutien à cette position.
"La liberté est une des valeurs principales des décideurs lorsqu'il s'agit de développement", a acquiescé le ministre allemand de la Coopération Dirk Niebel. Selon lui, les révolutions en Egypte et en Tunisie sont "la confirmation puissante du fait que le développement doit venir de l'intérieur".
La ministre française de l'Economie Christine Lagarde a également estimé que la priorité donnée à la recherche d'une croissance durable dans cette région ne pouvait pas se faire sans prendre en compte "les questions concernant la justice, la sécurité, l'emploi, notamment dans le secteur privé".
Mais le soutien est également venu de certains pays en développement, à l'instar du Maroc dont le ministre de l'Economie, Salaheddine Mezouar, a appelé à "une action globale et de long terme afin de bâtir des institutions légitimes et stables qui puissent faire en sorte que le peuple jouisse des fruits de la justice, de la sécurité, de l'emploi et de services publics de base".
Représentant d'un pays qui tente de s'extraire d'une longue crise politique, son homologue zimbabwéen Tendai Biti a aussi jugé que l'accent devait être mis "sur un renforcement des institutions" et sur "la sécurité, la justice et l'emploi".
Des voix discordantes se sont fait entendre.
"La Banque doit rester strictement à l'écart de la politique", a tranché le ministre russe des Finances Alexeï Koudrine. "Pour nous, il s'agit d'une des forces de cette institution, la source de la confiance et la base de la coopération entre la Banque et ses membres qui dépendent de son soutien".
Le Russe a ainsi fermement appelé l'institution de Bretton Woods à "éviter toute déclaration politiquement biaisée sur les conflits"
Même objection de la part de l'Arabie saoudite. Le ministre des Finances Ibrahim Al-Assaf a salué cet "ordre du jour intéressant" pour aussitôt estimer "essentiel" que la Banque mondiale respecte "son mandat non politique".