C'est interdit en France, mais légal et même recommandé aux Etats-Unis: financer au nom d'une entreprise un élu du Congrès pour qu'il ne vous oublie pas. Les entreprises françaises s'y sont mises.
AXA, Areva, Sanofi, Lafarge, GDF-Suez: comme des centaines d'autres filiales de groupes étrangers, ces entreprises disposent de leurs "comités d'action politique", connus sous leur acronyme anglais "PAC", et dont l'unique objet est de soutenir les campagnes électorales de candidats au Congrès, chèque après chèque.
Ces PAC sont financés exclusivement par les dons de cadres américains des filiales; les trésoreries des sociétés ne peuvent en aucun cas les financer. La loi électorale interdit aussi aux étrangers, et donc aux Français, de contribuer.
Les dons des employés sont facultatifs, de petites ou grosses sommes prélevées sur la feuille de paie si le salarié le demande.
Qui dirige ces PAC? De hauts cadres. Pour le PAC de IPR-GDF-Suez, par exemple, les directeurs stratégique, fiscal et de la communication font partie du conseil qui approuve les dons.
La direction du groupe n'a pas de contrôle hiérarchique officiel sur le PAC, et les deux structures sont distinctes. Mais le PAC porte toujours le nom de l'entreprise et nul doute n'existe quant à sa fonction: défendre les intérêts du groupe et de ses employés.
De fait, ces contributions sont une façon traditionnelle d'acheter l'oreille des élus qui écrivent les lois et orientent les subventions fédérales, mais les sociétés avancent une raison plus élégante.
"Notre but est de tisser des relations et d'aider à créer une solide compréhension de la façon dont notre secteur est affecté par différentes mesures", explique Julie Vitek, directrice de la communication de la filiale américaine de GDF-Suez, faisant écho à des réponses similaires données par les plus grands PAC français --AXA, Areva et Sanofi--, interrogés par l'AFP. Lafarge Amérique du Nord n'a pas fourni de réponse détaillée aux questions de l'AFP.
Aux dernières élections, Julie Vitek indique que le PAC GDF-Suez a financé les élus du Congrès représentant les circonscriptions où la société est implantée, surtout au Texas --une bonne pratique pour tous les gros employeurs, étrangers comme américains.
Dans le domaine électoral, le pragmatisme domine et l'argent n'a pas de couleur partisane: démocrates comme républicains reçoivent des dons.
Le plus dépensier des Français est le laboratoire Sanofi, avec 211.500 dollars versés à 93 candidats en 2011-2012, à travers deux PAC, selon une analyse de l'AFP à partir de données de la Commission électorale fédérale (FEC) mises à disposition sur le site opensecrets.org.
Un examen détaillé révèle que 15 des 25 membres de la sous-commission de la Santé, à la Chambre des représentants, ont reçu des dons --dont 11 des 15 républicains, qui y détiennent le pouvoir. Ce sont eux qui élaborent les lois du secteur pharmaceutique, l'un des plus réglementés, où un alinéa en plus ou en moins peut avoir un impact financier considérable.
Il est difficile d'évaluer le "retour sur investissement" de ces dépenses, qui s'assimilent plutôt à une assurance à long terme.
Une mesure activement défendue par Sanofi et sa lobbyiste s'est éteinte en commission à la Chambre, mais elle a été approuvée au Sénat en juillet 2011. Sans conséquence en droit mais forte de l'aval symbolique du Congrès, cette résolution vise à promouvoir la lutte contre une maladie cardiaque, la fibrillation atriale, pour laquelle Sanofi a développé des médicaments.
"La décision du PAC de soutenir un élu du Congrès ou un candidat ne dépend pas de sa position sur telle ou telle mesure législative, y compris la résolution (sur la fibrillation atriale), mais de sa position à l'égard de politiques qui sont dans l'intérêt de l'innovation biomédicale et de la santé des patients", a expliqué Jack Cox, porte-parole de Sanofi, dans un courriel à l'AFP.
Les chèques varient en général de 1.000 à 3.000 dollars. Les montants montent vite pour les élus les plus importants, comme le président de la commission chargée de la législation fiscale, Dave Camp, destinataire de 10.000 dollars du PAC de l'assureur AXA.
Les candidats réclament eux-mêmes ces contributions. Ils envoient des "invitations" aux PAC et leurs lobbyistes pour des réceptions de levée de fonds, avec un montant "recommandé".
"En général, toutes les entreprises qui ont des intérêts en jeu avec l'Etat fédéral, comme des contrats, vont former leurs PAC", dit à l'AFP Craig Holman, spécialiste du financement électoral à l'ONG Public Citizen.
"La plupart ont décidé que jouer le jeu des contributions électorales était un outil puissant pour influencer l'Etat et le Congrès".
Nancy McLernon, qui représente les intérêts d'environ 160 groupes étrangers aux Etats-Unis, affirme que ces contributions sont le "moyen de faire en sorte qu'un élu qui soutient une politique importante pour l'entreprise reste au Congrès".
Les groupes français sont loin d'être les plus riches contributeurs étrangers, avec un cumul d'environ 850.000 dollars, soit l'équivalent des dons du PAC de la seule banque suisse UBS.
En cumulé, les Suisses, les Britanniques (environ 3 millions chacun) et les Allemands (2,4 millions) furent les plus généreux lors du cycle électoral de 2011-2012.