COQUELLES, Pas-de-Calais (Reuters) - La tension est quelque peu retombée jeudi sur le site du tunnel sous la Manche, près de Calais, où les forces de l'ordre ont procédé à 300 "interceptions" dans la nuit après les tentatives d'intrusion massives des jours précédents, a-t-on appris auprès de la police et d'associations.
Après le décès d'un migrant soudanais dans la nuit de mardi à mercredi sur le site d'Eurotunnel, le neuvième depuis le 26 juin, un Egyptien de 17 ans a été gravement électrocuté mercredi à la gare du Nord, à Paris, alors qu'il tentait de prendre clandestinement un Eurostar pour le Royaume-Uni.
La Grande-Bretagne reste un eldorado rêvé pour les migrants du Calaisis - Erythréens, Ethopiens, Soudanais et Afghans en majorité - qui ont fui les conflits dans leur pays.
"Il y avait un peu moins de migrants la nuit dernière que les deux précédentes aux abords du site, la pression était un peu moins forte même s'ils étaient encore nombreux", a dit une source policière à Reuters.
"Il y a eu 300 interceptions, environ 800 migrants se trouvaient aux abords du site", a-t-elle ajouté.
Les 120 CRS et gendarmes mobiles annoncés en renfort mercredi par le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, pour épauler les 350 hommes déjà sur place sont à pied d'oeuvre.
RÉUNIONS ENTRE LE GOUVERNEMENT ET EUROTUNNEL
Une réunion était prévue jeudi entre les services de Bernard Cazeneuve et d'Eurotunnel pour "identifier les aménagements nécessaires de l'infrastructure et les moyens d'intensifier la coopération opérationnelle" entre les forces de l'ordre et les agents chargés de la sécurité du groupe, au nombre d'environ 200 selon le groupe, de 103 selon le ministre de l'Intérieur.
Le ton est acrimonieux depuis plusieurs jours entre Eurotunnel et le gouvernement, qui se renvoient la responsabilité de la situation actuelle.
Bernard Cazeneuve, qui a rencontré mercredi soir le PDG du groupe, Jacques Gounon, a mis en avant à l'issue de l'entretien "un esprit de responsabilité partagé".
"Les entreprises doivent s'occuper de leur environnement. Ils sont en train de baisser les contrôles et nous leur mettons la pression", a toutefois déclaré jeudi le secrétaire d'Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, sur BFM TV.
L'ambassadeur du Royaume-Uni en France a assuré jeudi que la coopération entre Londres et Paris était fructueuse, alors que des voix s'élèvent dans la classe politique française, à droite comme à gauche, contre l'attitude des Britanniques.
"Il y a beaucoup de frustration mais la France et le Royaume-Uni travaillent très bien, c'est une vraie collaboration. Les discussions continuent intensément, tous les jours et à très haut niveau", a dit Peter Ricketts sur Europe 1.
"Nous travaillons contre les passeurs, les réseaux. Il y a beaucoup de choses à régler en amont. On ne règlera pas le problème à Calais", a-t-il souligné.
"Nous ne sommes pas un eldorado, c'est un mythe. Nous avons durci beaucoup les accès aux allocations. Nous avons un système de permis de séjour biométrique et non, ce n'est pas facile de travailler au noir chez nous", a dit l'ambassadeur.
"J'AIME L'ANGLETERRE"
L'attraction reste pourtant forte auprès des migrants.
"J'aime l'Angleterre. Je veux y enseigner et travailler, car il y a des problèmes dans mon pays : la politique, la religion", témoigne sous le sceau de l'anonymat une Erythréenne de 20 ans, arrivée il y a une semaine dans le Calaisis après une périlleuse traversée de la Méditerrannée depuis la Libye.
"Je sais que c'est dangereux, mais je n'ai pas de passeport, je n'ai rien. Je vais essayer de prendre un train, mais la police française, elle n'est pas bien", dit-elle à Reuters TV.
Un migrant soudanais explique qu'il tente de monter dans des voitures particulières pour entrer ensuite dans une des navettes du tunnel. "Courir et sauter sur le train, c'est trop dangereux".
Nigel Farage, dirigeant du parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), s'inquiète dans une interview au site internet du Telegraph d'une situation "effrayante".
"Vous êtes au volant de votre voiture, à l'arrêt sur l'autoroute, et ils sont des dizaines à vous entourer. Il y en a un qui a essayé d'ouvrir l'une des portes arrière de ma voiture", a-t-il témoigné.
Pour Pierre Henry, directeur général de l'association France Terre d'Asile, la Grande-Bretagne doit faire plus en matière de contrôles frontaliers.
"La Grande-Bretagne a externalisé ses contrôles sur le territoire français, et l'État français est en quelque sorte le bras policier de la Grande-Bretagne", a-t-il déploré sur RTL.
Londres a déjà débloqué 25 millions d'euros pour la sécurisation du site d'Eurotunnel.
"Si nous pouvons faire plus, nous le ferons sans aucune hésitation", a dit jeudi le Premier ministre britannique, David Cameron, à Londres.
(Sophie Louet avec Pierre Savary à Lille et Clotaire Achi à Calais, édité par Yves Clarisse)